Staline, histoire et critique d’une légende noire – Investig’Action

Même si l'auteur démonte la « légende noire » forgée entre autres par Arendt, Conquest, Khrouchtchev et Trotski, ce livre n'est pas une apologie de Staline (bien qu'il sera sans doute accusé d'en être une) mais plutôt une tentative pour faire sortir Staline de la démonologie occidentale, où il occupe une place de choix aux côtés de son « frère jumeau » Hitler, et de le faire entrer dans l'histoire, une histoire certes tragique, mais qui ne se résume pas à la lutte du Bien démocratique contre le Mal totalitaire. L'auteur aborde de front plusieurs questions sensibles, comme la direction par Staline de la guerre patriotique (1941-1945), la famine en Ukraine, les camps, l'industrialisation forcée ou encore l'antisémitisme, et il s'appuie pour cela essentiellement sur des sources non communistes.

Losurdo montre que les pratiques de déportation ou de travail forcé, dénoncées comme « monstrueuses » quand elles étaient dues aux staliniens, étaient parfaitement acceptables pour l'Occident libéral lorsque celui-ci les appliquait aux peuples colonisés. Ce livre offrira peut-être un antidote à la culpabilisation dans laquelle beaucoup de communistes sont enfermés depuis des décennies.

Il devrait surtout permettre de comprendre le régime soviétique comme étant une dictature développementiste, pour utiliser le terme de Losurdo, dont le but principal n'avait rien à voir avec le socialisme, tel qu'il était compris avant 1917, mais visait au rattrapage de l'Occident par un pays arriéré. Tout Staline peut être résumé par ces phrases de Isaac Deutscher (qui ne l'aimait pas) : « il a trouvé la Russie qui travaillait la terre avec des charrues de bois et il la laisse propriétaire de la pile atomique… Un pareil résultat n'aurait pas pu être obtenu sans une vaste révolution culturelle au cours de laquelle on a envoyé tout un pays à l'école pour lui donner une instruction étendue ». (cité par Losurdo, p.12). Deutscher aurait pu ajouter que tout cela s'est fait dans un climat d'hostilité internationale et de sabotage inouï et a été accompagné par la mise sur pied d'une puissante armée qui a vaincu pratiquement seule le fascisme. Bien sûr, ce fut le résultat d'une dictature féroce ; comment a-t-on pu imaginer que cela soit réalisé autrement ? Et comment a-t-on pu jamais imaginer que tout cela fut accompli par le fou sanguinaire, stupide et inculte décrit par la « légende noire » ?

Quelles conclusions politiques tirer du livre de Losurdo ? Bertrand Russell remarquait, déjà en 1920, que « Les bolcheviks se donnent pour être les alliés du socialisme occidental avancé, et, à ce point de vue, ils prêtent le flanc à de sérieuses critiques….Mais comme gouvernement national, une fois dépouillés de leur camouflage et en les considérant comme les successeurs de Pierre-le-Grand, ils accomplissent une tâche nécessaire, quoique ingrate. » L'erreur fondamentale des communistes occidentaux a été de s'être laissé berner par le « camouflage », et d'avoir perverti ainsi l'idée même du socialisme, en l'identifiant à cette œuvre de « successeurs de Pierre le Grand ». Ce faisant, ils ont inauguré une tradition, qui se poursuit aujourd'hui, de méfiance à gauche envers les libertés démocratiques (entre autres, la liberté d'expression), perçues comme « bourgeoises », vu qu'elles avaient été supprimées en URSS, alors qu'avant 1917, les socialistes, toutes tendances confondues, réformistes comme révolutionnaires, avaient défendu ces libertés.

Mais ce que la gauche occidentale « radicale » est devenue, avec la déstalinisation et surtout après mai 68, un mélange de subjectivisme et d'utopisme est, à bien des égards, pire que ce qu'étaient les PC occidentaux à l'époque « stalinienne ». Cette gauche a progressivement admis l'idée que la fin de l'URSS signifiait la fin du socialisme (ce qui revenait à p

via www.michelcollon.info

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