La revue "Transhumance", dirigée par Eric Coulon, vient de paraître, pour son numéro 2, "L'homme qui porte des prothèses". Dans les 108 pages, vous pouvez lire de Stanislas Landolfi, "Le monde comme matrice et simulation", de Christian Joliez, "Dialogue sur la prothèse absolue", d'Eric Coulon, "Prothèses techniques et projet métaphysique", et "L'anima alitée". Dans ce texte, j'ai opéré le dépassement de la séparation humain-animal en intégrant le corps des animaux dans celui de l'humain, en tant que synthèse consciente et inconsciente (représentation formelle, phases de constitution, caractéristiques génétiques, alimentation-assimilation). Il s'agit d'avancer dans la compréhension de ce fait et de ce problème : pourquoi l'animal "humain", animal parmi les animaux, a t-il pu développer une telle séparation-dénégation avec ces frères d'incarnation et pourquoi aujourd'hui le monde de l'animalité comme le monde de l'anima, de l'âme et du souffle humain, sont-ils si malades de ce qui advient en tant qu'"humain" ?
Dans "Libération" a paru un long entretien avec Frans de Vaal consacrée aux capacités sentimentales et intellectuelles des animaux et des mammifères. En voici deux extraits :
D’où vient cette réflexion sur l’empathie ?
Tout a commencé il y a trente ans, quand j’ai découvert un
comportement dit de «consolation», de réconfort, chez les chimpanzés.
Après une bagarre, celui qui a perdu est consolé par les autres, ils
s’approchent, le prennent dans leurs bras, essaient de le calmer. Dix
ans plus tard, j’ai entendu parler du travail de la psychologue Carolyn
Zahn-Waxler, qui testait l’empathie chez les enfants. Elle demandait aux
parents ou aux frères et sœurs de pleurer ou de faire comme s’ils
avaient mal, et les enfants, même très jeunes, 1 ou 2 ans à peine,
s’approchaient, touchaient, demandaient comment ça allait. Ce qu’elle
décrivait était exactement ce que j’avais appelé le comportement de
«consolation» chez les chimpanzés. C’est à partir de ce moment que j’ai
commencé à regarder le comportement des chimpanzés, et des singes en
général, en me posant la question de l’empathie.
En parlant des trois religions monothéistes, vous remarquez qu’elles
sont nées dans le désert, dans des pays sans singes…
Les religions occidentales sont nées dans le désert. Dans le désert, à
quel animal l’être humain peut-il se comparer ? Au chameau ? L’homme et
le chameau sont de toute évidence très différents. Il est donc très
facile de soutenir que nous sommes complètement différents des animaux,
que nous ne sommes pas des animaux, que nous avons une âme et que les
animaux n’en ont pas. Quand on lit le folklore de nos sociétés, les
fables de La Fontaine par exemple, on y rencontre des renards, des
corbeaux, des cigognes, des lapins… mais pas de singes. Alors que les
folklores asiatiques sont pleins de gibbons, de macaques… En Inde, en
Chine, au Japon, il y a toutes sortes de singes. Le développement des
civilisations s’y est fait en compagnie des primates, c’est à cette
sorte d’animaux que les Asiatiques se comparent. Du coup, la ligne de
séparation n’est jamais très nette. Dans le livre, je raconte que,
lorsque, pour la première fois au XIXe siècle, les habitants
de Londres et de Paris ont vu des grands singes, ils ont été choqués,
dégoûtés même. Dégoûtés en voyant un orang-outan ? Ça n’est possible que
si on a de soi une idée qui exclut l’animal. Sinon, on voit un
orang-outan et on se dit : si ça, c’est un animal, alors peut-être que
moi aussi je suis un animal. Aujourd’hui, bien sûr, c’est différent. Les
gens se sont habitués à l’idée qu’ils sont des grands singes et à se
voir eux-mêmes comme des animaux. Jusqu’à un certain point, en tout cas,
en dehors des départements de philosophie.
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A lire, également "Adieu, bel animal", le dernier numéro de la Revue Ravages
Des articles "One Voice" sur la conscience et la sensibilité des animaux, y compris de ferme
Une pétition à signer, parmi d'autres