Les quatre premiers ouvrages, qui sortent en janvier, en sus du manifeste liminaire de Rosanvallon, corroborent le souci de faire appel à des écritures variées. Le premier est le témoignage anonyme d’Anthony, « ouvrier d’aujourd’hui ». À 27 ans, habitant la banlieue lyonnaise, il raconte le choc de la découverte du monde du travail après avoir décroché du lycée à 16 ans, ou celui de devoir abandonner le premier boulot qui lui plaît, dans une entreprise fabriquant des extincteurs, parce qu’il a été pris en alternance, mais n'accepte pas, dans le cadre de la formation théorique, « le sentiment angoissant de revenir des années en arrière, sur les bancs du lycée », au milieu d’adolescents, parce que « c’était insupportable d’être traité comme un gamin à 23 ans, quand on gagne sa vie et qu’on est en appartement ».
Faute de suivre les cours théoriques et en dépit d’une formation pratique sans accroc, le voilà revenu à la « case galère », révélatrice de l’actuel « mouvement de re-prolétarisation qui touche de nombreux jeunes » et d’une vie professionnelle marquée par le triple sceau « de l’incertitude, de la précarité des statuts et de l’absence de recours à l’action collective ».
Le second, surprenant et enlevé, s’intitule La Course ou la ville, et est le fruit du travail d’une journaliste, Ève Charrin, sur « l’univers parallèle » des livreurs, ces « ouvriers invisibles », qui permettent que « nos supérettes exiguës s’emplissent de marchandises toujours parfaitement fraîches et indéfiniment disponibles ».
On y découvre l’envers de la « formation à la relation client », qui consiste « à réduire au minimum cette “relation” afin d’éviter tout dérapage ». « La dame de la formation nous a dit, explique un livreur, il ne faut jamais donner tort au client, ne pas s’en approcher trop près, ne pas le regarder dans les yeux. » « Ne pas regarder dans les yeux, c’est un conseil qu’on donne aussi en cas de rencontre avec un chien menaçant ou un animal sauvage », commente la journaliste.
On y apprend des éléments invisibles aux yeux du profane, comme la corrélation directe « entre la taille du véhicule et le statut du conducteur » ; des modes de fonctionnement de cet univers tissé d’une cascade de sous-traitance où « la firme globale qui emploie Mohamed Zghonda ne triche pas, non, mais clairement, elle pousse ses sous-traitants à le faire en leur imposant des tarifs impossibles », ou encore certaines subtilités que le bobo à vélo parisien ne remarque pas à l’œil nu, comme l’explication par Mohamed du « repoussoir absolu », que sont les chauffeurs de taxi : « Les taxis, ils s’arrêtent n’importe où. Il roulent pour le client, et le reste, ils s’en foutent. Nous, on les appelle : les putes. »
Le troisième
via www.mediapart.fr