Les commentaires, depuis dimanche que le Sénat semble avoir échappé à la droite, font fi d'une réalité oubliée ou occultée: en France, le deuxième personnage de l'État fut un "nègre" de gauche que le pouvoir gaulliste s'est appliqué à rendre invisible. Par exemple, le 19 décembre 1964, alors qu'André Malraux prononce son discours faramineux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, les plus hautes autorités de la République, flanquées de la sœur de Jean Moulin, campent sur le péristyle. Où est le président du Sénat, Gaston Monnerville, petit-fils d'esclave né à Cayenne? Inconnu au bataillon:
Le général de Gaulle est entouré de Georges Pompidou et de Jacques Chaban-Delmas, derrière le chef de l'État trônent Valéry Giscard d'Estaing et Maurice Couve de Murville. Gaston Monnerville (1897-1991) est effacé des plans comme en témoignent les archives.
Ce qui n'empêche pas, au nom d'une prétendue «visibilité», LCP (la chaîne parlementaire) de sortir ce fantôme politique des oubliettes en une vignette guillerette.
Gaston Monnerville pensait que la méritocratie républicaine et l'intégration proprement française auraient raison du racisme, qu'il combattait: il avait co-fondé la Lica (Ligue internationale contre l'antisémitisme), avec Bernard Lecache et consorts, à la fin des années 1920. Mais il croyait, avec un forme de déni, qu'il suffit d'incarner au plus haut point les valeurs démocratiques pour que s'évanouissent les basses pulsions et les malentendus indécrottables. Pour lui, la France était d'abord et avant tout libératrice, civilisatrice. Quand on le poussait dans ses derniers retranchements, il s'en tirait par une pirouette: «La preuve que les Français ne sont pas racistes, c'est que je suis président du Sénat. La preuve qu'ils le sont, c'est que je ne serai jamais président de la République.»
Gaston Monnerville
via www.mediapart.fr