Pourquoi la conversation l’emportera, par A,ndre Gunthert

Comme la radio est devenue, pour des raisons pratiques, le média privilégié de la circulation automobile, les journaux papier sont de plus en plus des objets de consommation ponctuelle, dans des situations de déconnexion, particulièrement les transports en commun. Alors que les kiosques à journaux périclitent, les gares ou les aéroports comptent parmi les derniers endroits où le commerce de l'information reste vivace.

Pourtant, l'autre jour, en rentrant de voyage, je suis ressorti les mains vides de la librairie, malgré la perspective d'un long trajet en RER. Ce n'est pas la première fois que la ribambelle des Unes échoue à éveiller mon désir. Si cette offre ne me tente pas, c'est parce que mes propres outils de sélection des sources m'éloignent des récits médiatiques les plus courants, qui perdent de leur pertinence à mes yeux.

J'ai donc passé mon trajet à lire et à commenter mes flux Facebook et Twitter. Une activité moins confortable que la lecture d'un magazine, compte tenu de l'étroitesse de l'écran de mon smartphone et d'une connexion 3G parfois fluctuante, mais néanmoins plus satisfaisante que la consommation d'un support d'information non interactif.

La raison de cette désaffection n'est pas évidente pour tout le monde. Selon Bernard Guetta, prix Albert-Londres et éditorialiste vedette à France-Inter, «la crise de la presse occidentale est avant tout celle des grands courants de pensée européens et américains (…), la conséquence de la panne d’idées occidentale».

Si l'expert en géopolitique lisait un peu moins ses organes favoris, et un peu plus internet, il serait étonné de la diversité et de la richesse de pensée qui s'y exprime, très loin de la "panne d'idées". On pourrait plus opportunément pointer la frilosité et le conformisme du filtre médiatique, que ses contraintes économiques poussent vers un lectorat de plus en plus âgé et nanti.

Construits par le jeu des affinités et par tests d'essai/erreur, les bouquets informationnels des réseaux sociaux proposent par définition un ciblage plus fin et plus adapté que n'importe quel média de masse. Mais ce n'est pas la seule raison qui les impose comme l'alternative définitive à la consommation de la presse.

Le spectacle de l'actualité ne nous est pas offert pour notre seul divertissement. Ce qui fonde la légitimité de la presse est de porter à notre connaissance des informations qui nous sont utiles pour diriger notre vie. A la différence d'un loisir que l'on peut consommer passivement, elles sollicitent donc notre jugement et sont supposées faire l'objet d'une appropriation voire d'une réutilisation.

Au temps du petit noir sur le zinc, on se saisissait des infos pour les disséquer entre amis. La conversation est un espace de formation du jugement par la confrontation des avis. Nous y recourons pour tester et améliorer nos évaluations, pour apprendre ou pour faire étalage de notre savoir, pour négocier notre place dans le groupe.

Dans la descendance du web interactif, les réseaux sociaux, et tout particulièrement Facebook, se sont construits non seulement comme des espaces propices à la discussion, mais comme des machines à entretenir et à récompenser la conversation. En favorisant l'une des compétences les plus fondamentales de la vie en société, ils sont devenus des outils irremplaçables de la médiasphère.

Dès lors qu'elle s'applique à l'actualité, la possibilité de discuter une information est évidemment préférable à sa seule consultation. Information + conversation forment l'équation magique des réseaux sociaux, qu'aucun média papier ne peut concurrencer.

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