Le langage est prudent, mais le constat cinglant : une fois de plus la Suisse pourrait se retrouver dans le collimateur, contrainte sous la pression internationale de mettre de l’ordre dans un secteur d’activité en plein essor. Mais cette fois-ci, il ne s’agit pas de banques, de secret bancaire ou d’avantages fiscaux, mais des « zones douanières d’exception » : ports francs et « entrepôts douaniers ouverts » qui continuent à attirer œuvres d’art, antiquités, métaux précieux et grands crus, propriétés des plus grandes fortunes au monde.
Le problème de ces coffres-forts ne date pas d’hier. Mais pour la première fois, c’est le Contrôle fédéral des finances (CDF) qui, à Berne, tire la sonnette d’alarme en publiant un rapport (voir ici) détaillé, plutôt fraîchement reçu dans les milieux concernés. Si la fonction première des zones douanières d’exception est de « faciliter » le commerce – entreposer des marchandises en suspension des droits de douane et de taxes (TVA) jusqu’à leur importation définitive dans un pays –, l'organe suprême de la surveillance financière de la Confédération s’inquiète de leur utilisation à des fins beaucoup moins avouables : évasion fiscale, blanchiment, contrebande de marchandises et trafic de biens culturels.
Les ports francs et entrepôts de Genève
Ces dernières années, tout a pourtant été fait pour redresser l’image désastreuse des ports francs qui, au fil des scandales, apparaissaient comme des zones grises où toutes les dérives étaient possibles. Pour répondre à ses obligations internationales, la Suisse a été contrainte d’édicter plusieurs législations et ordonnances. Depuis 2007, avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi sur les douanes, ces entrepôts sont sous la surveillance de l’Administration fédérale des douanes, alors qu’auparavant leur statut « extraterritorial » interdisait toute inspection intra-muros. En parallèle, la loi sur le transfert des biens culturels (LTBC) de 2005 a permis de renforcer les contrôles de biens culturels, qui font désormais l’objet d’une déclaration spécifique et en principe détaillée quant à leur provenance et leur valeur. Enfin, depuis 2009, tout entreposeur ou propriétaire de « biens sensibles » – biens culturels, métaux précieux, diamants, armes, etc. – doit tenir un inventaire précis de ses stocks, document que les douaniers peuvent à tout moment exiger et contrôler.
De « boîtes noires », les ports francs suisses seraient ainsi devenus des lieux contrôlés et régulés. Voilà pour la théorie. Car dans leur rapport de 70 pages, les inspecteurs du Contrôle fédéral des finances relèvent les nombreuses lacunes dans la mise en application des nouvelles législations, et l’urgente nécessité pour Berne d’adopter « une stratégie visant à réduire les risques compte tenu des enjeux économiques et politique pour la Suisse ». « On l’a vu avec les questions bancaires, la Suisse ne doit pas seulement agir sous la pression internationale. On ne peut pas se permettre de dire qu’on ne savait pas quels étaient les enjeux et quels étaient les risques », explique à Mediapart Laurent Crémieux, le chef de projet qui a enquêté durant plusieurs mois.
« Le contrôle fédéral des finances s’inquiète de
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