Pinar Selek est accusée d’être à l’origine de l’explosion d’une bouteille de gaz, le 7 juillet 1998, dans un marché d’Istanbul, le « Bazar à épices », qui s’est depuis avérée être accidentelle. Après avoir fait deux années et demi de prison et avoir subi des tortures, elle a été acquittée par deux fois en 2006 et 2008. Mais en mars 2009, cette décision est annulée. Ainsi Pinar Selek passe à nouveau en procès le 9 février 2011.
Plaidoirie de Pinar Selek à la 12e Cour d’assises d’Istanbul en date du 17 mai 2006
Je vous présente ce texte appelé « défense » dans le jargon juridique, non pas dans le but de me défendre contre diverses allégations à mon encontre mais plutôt pour expliquer comment je me suis battue pour ma dignité, ma personne, ma quête de la liberté et mon lien à la vie, contre la cabale que je subis depuis extrêmement longtemps.
Oui, il est vrai que j’ai été dans une position de défense après que le complot du Bazar à épices ait mis ma vie entre parenthèses. À présent, je vais tenter d’expliquer ce pour quoi je me suis défendue et comment.
Depuis mon enfance, j’ai essayé d’imaginer comment il était possible de mener une vie libre, morale et heureuse. J’ai étudié la sociologie pour trouver des réponses à ces questions, pour me comprendre moi-même et la société, et pour étendre mon champ de liberté. Pendant mes années universitaires, à la poursuite de cette quête infinie, j’ai essayé de créer mon propre chemin en questionnant les rapports entre le savoir et le pouvoir, la manière dont la science est instrumentalisée, les modes comportementaux et langagiers. Bref, en abordant tout ce qui était trop sacré pour être questionné publiquement. Comme je m’étais donné beaucoup de mal pour trouver les réponses à mes questions et que j’avais analysé le moindre mot que j’avais appris, je fus reçue major de ma promotion.
Au cours de ma défense pendant le procès du 14 avril 1999, j’ai fait une référence à Bourdieu, qui avait écrit « Je veux pénétrer plusieurs vies, c’est-à-dire m’entretenir et discuter avec les gens qui ont l’expérience de ces vies et construire des relations entre les subjectivités » ; et à l’usage qu’il a fait de Flaubert : « Un sociologue pénétrera et touchera certainement de nombreuses vies, essaiera de comprendre des gens qui ont des émotions et des expériences dont il/elle n’a jamais fait l’expérience. » J’ai passé le début de mes années universitaires, non pas dans les couloirs ni dans les réfectoires, mais à l’intérieur même de la vie, avec cette profonde motivation, cherchant encore et toujours. J’essayais toujours de sonder l’insondable, et ainsi, à ma façon, d’éclairer les ténèbres.
Je pensais que les sociologues, tout comme les médecins, devaient être capables de guérir les blessures de la société. Après avoir achevé mes recherches sur la manière dont les transsexuels avaient été expulsés d’Ulker Street [1] et avoir validé ma thèse, je ne pouvais tout simplement pas, sous prétexte d’avoir obtenu ce que je désirais, abandonner les personnes dont j’avais partagé les problèmes. Et donc je ne les ai pas abandonnées. J’ai participé à un atelier avec les personnes que j’avais rencontrées au cours de diverses enquêtes et qui avaient toutes subi une forme ou une autre d’exclusion et d’isolement. Nous l’avions appelé « l’Atelier des artistes de rue ».
C’est horrible de voir cet atelier présenté comme une fabrique de bombes. Non, jamais une bombe n’aurait pu pénétrer dans notre atelier. Au contraire, dans ce tout petit espace qui nous appartenait, nous tentions de surmonter toutes sortes de violences, essayant au contraire de soigner les blessures causées par la violence. Nous devons laver la réputation de cette expérimentation qui en val
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