Après "Capitaine Achab" et "Jeanne captive", le cinéaste donne à nouveau, avec "Fou d’amour", un film superbe, inspiré de très haut des actes meurtriers commis par un prêtre à la fin des années 1950.Pourquoi revenir au curé d’Uruffe, dont l’histoire vous avait déjà inspiré en 1996 le court métrage Ici-bas ?
PHILIPPE RAMOS Je crois avoir eu vent de cette histoire la première fois au moment où je lisais l’Abbé C., de Georges Bataille. Lorsqu’on me demande la raison de mon intérêt depuis si longtemps, je ne peux répondre qu’au plus intime, de manière radicale et profonde, par une citation que je ne sais d’ailleurs plus à qui attribuer : « Quand on s’est brûlé, on peut parler du feu. » Dans Ici-bas je n’avais travaillé que l’angoisse, la gravité. J’étais resté aveugle à la séduction du meurtrier, à la disponibilité de cet homme prêt à tout jusqu’à la noirceur tragique. J’ai donc repris ma toile, comme peut le faire un peintre. Avec la maturité je me suis dit que tout se jouait là, dans la confrontation violente entre les deux pôles d’un même homme. J’ai essayé en tant que cinéaste de placer le spectateur dans la position des villageois. Disons qu’il s’agit d’un machiavélisme cinématographique, au bon sens du terme. Mon curé a un joli verbe, il est accueillant. Il aime faire l’amour, rouler sur sa moto. Les habitants du village sont séduits. J’ai retiré certains éléments du fait divers – vraiment sordide – qui auraient conduit trop vite sur la piste de la folie furieuse. En écrivant le scénario, j’en ai conservé certains pour borner l’écriture. Après tout, cet homme a existé. Il a vraiment créé un club de foot, un club de théâtre, reçu de la châtelaine du coin, non une moto, mais une voiture en cadeau. Je l’ai peint à ma manière. Ces petits faits posent des jalons pour le rendre humain. Lorsque la tragédie survient, c’est un peu comme dans ces moments où les voisins stupéfaits d’un tueur en série sont interrogés à la télévision, tout se fissure, on se retrouve au bord de l’abîme.
Peut-on parler à nouveau de la proximité de votre travail cinématographique avec la composition picturale ?
PHILIPPE RAMOS C’est en fait plutôt affaire de méthode de travail. J’ai découvert le cinéma non par la cinéphilie mais par l’outil. Je souhaitais au départ faire de la bande dessinée. J’ai acheté une caméra Super 8 et j’ai trouvé le geste qui me convenait. Ma tête, ma main, l’outil étaient indissociablement liés. Cette petite fabrique artisanale a donné une douzaine de films Super 8. Avec l’arrivée du numérique et de caméras plus manipulables, j’ai pu reprendre mon outil en main. C’est en ce sens également que mon travail s’approche de la peinture. Je ne m’en inspire pas seulement pour la lumière ou la composition. Je comprends parfaitement qu’un peintre passe sa vie sur un même motif, un homme sur une chaise, une pomme sur une table… Je crois que je pourrais ne faire que des films sur Jeanne d’Arc ou sur le capitaine Achab. Dans Fou d’amour on voit un plan de Rose nue et de dos, jambes ouvertes. Ce plan existait déjà dans Ici-bas et dans Madame Edwarda, court que j’avais réalisé en 1992, déjà d’après Bataille. Ce plan a encore des choses à dire. Il m’importe beaucoup que tout se tienne. Qu’il s’agisse des thématiques, des personnages, des
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