De son malheur, elle a fait un combat. Pour son fils d’abord, et puis pour tous les musulmans d’Amérique. Il y a de la mère Courage dans cette femme-là, cette façon de se rebeller face à l’adversité. Il y a dix ans, quand les tours du Word Trade Center se sont effondrées, Talat Hamdani a perdu son aîné, Salman, le bébé qu’elle portait dans ses bras quand elle a quitté le Pakistan pour les Etats-Unis, à la fin des années 70. A 23 ans, Salman était le fils idéal. Il avait décroché son diplôme de chimiste à Queens College, voulait être docteur, avait une formation de sauveteur urgentiste, s’était enrôlé comme cadet auprès du NYPD afin d’aider ses parents à financer ses études de médecine. Et ce matin-là, le 11 septembre 2001, il s’est précipité vers les tours en feu pour aider. Mais la vérité mettra des mois à émerger. «Parce qu’il était d’origine pakistanaise, les autorités ont commencé à suspecter mon fils d’être un terroriste, dit Talat Hamdani, une photo de Salman accrochée à sa veste. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que la vie des musulmans en Amérique allait devenir un enfer. C’est là peut-être que, sans le savoir, j’ai commencé à me dire qu’il fallait faire quelque chose.» Elle s’interrompt et a cette phrase terrible : «En fait, je n’ai jamais eu le temps de faire mon deuil, il a tout de suite fallu que je défende l’honneur de mon fils.»
Dix ans plus tard, Talat Hamdani est l’une des voix de la communauté musulmane les plus respectées des Etats-Unis. Sa cause personnelle est devenue une cause communautaire, celle de millions de musulmans américains, qui vivent entre recueillement et appréhension ce dixième anniversaire des attentats. Membre éminent de l’organisation September 11th Families for Peaceful Tomorrows, qui rassemble des familles de victimes en prônant la tolérance, Talat Hamdani arpente sans relâche les plateaux de télévision et participe à tous les débats sur le 11 Septembre. «Il y a encore beaucoup de choses à faire, glisse-t-elle comme une excuse, une décennie a passé mais la situation des musulmans aux Etats-Unis est encore pire qu’avant. Nous sommes toujours confrontés à la discrimination et aux arrestations abusives de la police. Il y a des gens pour qui un musulman est un terroriste en puissance.»
Ces dix ans, Talat Hamdani les raconte sans reprendre son souffle. Le récit d’une vie qui a changé à jamais un matin ensoleillé. De Salman, elle n’aura pas de nouvelles durant toute la journée du 11 Septembre. Alors, avec son mari, elle se mêlera aux autres fantômes de Ground Zero, tous ces hommes et femmes que l’on pouvait croiser au sud de Manhattan durant les jours suivant la catastrophe, à la recherche d’un proche disparu. Puis ce sera les premières suspicions, un article du New York Post qui laisse suggérer «qu’un urgentiste new-yorkais musulman» s’est volatilisé et fait peut-être partie des pirates qui ont écrasé les avions sur les tours. «J’étais indignée. Je me suis battue contre tout le monde, j’ai protesté dans la presse. Et puis je ne savais toujours pas ce qui était arrivé à Salman. Nous n’avions aucune information.» Il a fallu plus de six mois, pour qu’un soir de mars 2002, deux officiers viennent frapper à la porte de la petite maison des Hamdani, à Bayside, dans le Queens. Les restes de Salman avaient été identifiés près des deux tours et le NYPD reconnaissait soudain que le jeune homme était mort en «héros». «C’est cela que certains n’ont pas compris. Mon fils était un Américain comme un autre. Il aimait Star Wars et le football. Il s’est sacrifié pour d’autres Américains. C’est le message que je voulais faire passer. Et j’ai réalisé qu’il y avait une cause plus grande à défendre, que les injustices contre les musulmans se multipliaient.»
La mère activiste voit officiellement le jour en 2004
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Le plus ancien