Depuis un an, Sarah mange ce qu’elle veut, s’habille comme elle veut, rentre et sort de chez elle quand elle veut. Au début, chaque minute de cette «nouvelle vie» était un choc. «Ne plus dormir par terre. Ne plus avoir mal. Pouvoir serrer mes filles dans mes bras. Ne plus avoir peur.» Sarah, 36 ans, a été battue, torturée, brûlée par son mari pendant dix-huit ans. Elle a écrit un livre, avec l’aide du journaliste Christophe Buchard (1). Elle y raconte comment elle devenue l’esclave de Fred. Comment, en alternant les coups et les caresses, puis dans une folle montée en puissance et en horreur, il a détruit chez elle toute volonté, toute énergie.
Sa voix est jeune, douce, presque enfantine. Elle détaille son calvaire sans colère, pas un mot de haine, pas une intonation malveillante. Elle se souvient en essayant d’en sourire de son «coup de foudre», le 10 juillet 1985, à Bizerte, dans le nord de la Tunisie. Sarah a 12 ans. Dans la rue, elle aperçoit un jeune homme habillé en blanc. «Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi beau. Je lui ai dit que je voulais me marier avec lui.» Ils se revoient à la plage, en ville, tous les jours. Fred a 22 ans. Il est français, il vit à Toulon, il est en vacances. Sarah est tunisienne. Elle habite avec ses parents et ses six frères et sœurs une belle maison près de Bizerte. Son père, ingénieur, a une «bonne situation». Sa famille, unie et heureuse, ne manque de rien.
Fred a pris la proposition de Sarah au sérieux. Rentré en France, il lui écrit. Promet qu’il l’attendra jusqu’à sa majorité. Demande au père de Sarah de lui «réserver» sa fille. Le père est choqué. Lui qui a toujours voulu que ses filles fassent des études, vivent libres et indépendantes… On ne réserve pas une femme comme une marchandise ! Il met en garde sa fille. Mais elle continue d’écrire à Fred. Il revient la voir l’été. Ils font de longues promenades. Parfois, Fred s’assombrit. Un regard d’un autre homme et il pique une violente crise de jalousie. Sarah pense que «c’est de l’amour».
Noces. En 1991, les parents de Sarah cèdent. L’union est célébrée. Mais les noces manquent d’entrain. Fred a vu sur une vidéo de famille Sarah danser avec un cousin. Son visage s’est fermé. Le soir, il lui ordonne de se coucher par terre. «Tu m’as trahi.» Quelques mois plus tard, toujours à propos de ce cousin, c’est le premier coup de poing. Suivi d’excuses et de promesses. Fred invoque son enfance difficile. Sarah a «pitié».
«Il est malade, dit-elle encore aujourd’hui. Il a peur de la vie, de la société, de tout. Je pensais qu’avec mon amour j’arriverais à le guérir.» Elle dit qu’il l’aimait trop. «Et que dire contre quelqu’un qui vous aime ?» Le couple s’installe en France. Une petite fille naît. Les pleurs du bébé exaspèrent Fred. Il gifle Sarah. De plus en plus souvent. Un objet mal rangé, un regard mélancolique : tout devient prétexte. Un soir, il rentre avec un bâton. Le livre décrit ces scènes de torture. Fred monte le son de la télévision, pour que les voisins n’entendent pas les cris. Il frappe et déchire la peau de Sarah. Elle s’évanouit de douleur. Il lui casse le bras. Il cogne encore, rouge de rage. Il frappe jusqu’à ce qu’il n’ait plus la force de tenir le bâton. Il arrête parce qu’il a «mal au poignet».
Depuis qu’elle s’en est «sortie», Sarah rencontre des femmes qui lui disent qu’elles n’auraient «jamais supporté», qu’elles seraient parties «bien avant». «Personne ne peut savoir, tant que l’on n’a pas vécu ça, se révolte Sarah. On arrive dans des états où l’on n’a plus aucune force, ni physique ni morale. J’avais peur de partir à cause de ses menaces, peur de lui faire du mal, peur qu’on ne me croie pas ou que l’on me juge. C’est impossible d’y arriver sans une aide extérieure.» Séquestrée pendant les seize premières années de s
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