Certaines personnes sont ainsi constituées qu’on leur souhaite de ne jamais soigner leurs névroses. Celle de Nicolas Lambert s’appelle la politique. Pas celle qui consiste à balancer des petites phrases sans intérêt à la figure de ses opposants, plutôt celle qui plonge dans le cambouis de l’organisation des groupes. Il en a saupoudré toute sa vie, lui conférant l’authentique saveur de l’engagement. Pour cet acteur qui se produit sur la scène du off d’Avignon durant trois semaines, notre société a déserté son Agora.
Dans l’ancienne cité des Papes, Lambert se pointe avec quatre-vingt-dix minutes de spectacle consacré à l’histoire du nucléaire français. Posé ainsi, ça s’annonce roboratif, indigeste, en un mot, chiant. Tout le contraire. Instructif, enrichissant, drôle, Avenir radieux, une fission française donne à voir l’ensemble des facettes politiques du diamant nucléaire : de la naissance de la bombe au scandale du prêt Eurodif, en passant par la sûreté de nos centrales et la bonne composition de nos dirigeants à l’égard de ce fleuron industriel. Nicolas Lambert campe une trentaine de rôles de son documentaire théâtral, se glissant dans la peau de militants arc-boutés, de gendarmes du nucléaire, d’experts de l’ombre, de présidents de la République… Ce spectacle est, ni plus ni moins, d’utilité publique, notamment parce que notre président normal nous a promis un grand débat sur l’énergie à la rentrée, et qu’il serait pour le moins hérétique de ne pas potasser le dossier avant de vouloir y participer.
Nicolas Lambert fabrique donc un théâtre politique. «On s’en fiche des histoires à l’eau de rose dans lesquelles Paul aime Samantha qui adore Jean-Marc… Si le théâtre ne sert pas à piger le monde, il ne sert à rien», martèle ce grand dégingandé aux faux airs de Mr. Bean. En apprenti maçon de la pensée, Lambert se sert des mots, du jeu, de la scène, comme d’une masse explosant les murs. «Je mets un peu d’art dans les rencontres de militants antinucléaires et de la politique au Festival d’Avignon.» Certains lui reprochent d’avoir injecté de la musique dans son spectacle, lui répond qu’il faut réinjecter la Politeia partout. Et un peu de musique aussi (un contrebassiste l’accompagne), histoire de cimenter ses histoires.
Nicolas Lambert est un récidiviste. Avant l’atome, il avait élaboré un spectacle entier à partir des auditions du procès Elf, Elf, la pompe Afrique. On a vu plus ragoûtant. En deux heures, il livrait la substantifique moelle de l’affaire, avec des vrais bouts de citations dedans. Car ses spectacles sont bâtis à partir de l’existant : bribes d’interview, auditions, lectures, déclarations, tout est vrai. «Les hommes de pouvoir, les vrais, ceux de l’ombre, ne croient pas en la démocratie. Pour eux, ça ne fonctionne pas. Dans Avenir radieux, je reprends le contenu d’une interview de Pierre Guillaumat, ancien patron du CEA, père de la bombe A, fondateur d’Elf Aquitaine, et j’en passe, qui se demande, dans les années 60, comment le programme nucléaire français pourra se perpétuer vingt ou trente ans plus tard, si on laisse la démocratie investir le secteur.» Avant de filer à Avignon, il s’est réfugié dans sa grange bourguignonne où il termine le dernier volet de son triptyque, sur l’armement. «Pétrole, atome, armes, les trois mamelles de l’Etat français.»
A l’entendre, Lambert est une sorte de rescapé. Il a grandi dans une famille de classe moyenne, banale à s’en nécroser le cerveau. Son père est dessinateur industriel, sa mère, infirmière, meurt d’un cancer à 47 ans. Avec ses deux sœurs, il grandit à Saint-Quentin (Aisne), dans une maison sans livres, où seule la voix de Max Meynier – star de RTL avec les Routiers sont sympas – fait résonner le vaste monde. «Quand j’y pense, c’était une vraie vie de petite province. Au lendemain du bac, toute ma génération avait quitté la ville pour
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