Après plusieurs plongées au cœur de l’oligarchie française, vous avez décidé dans votre dernier livre de décrypter la violence que la classe dominante exerce sur le peuple. Comment se traduit cette violence ?
Monique Pinçon-Charlot. De plusieurs manières… Il y a d’abord la violence économique, dans sa version néolibérale, avec une finance spéculative qui prend le pas sur la production industrielle. Les exemples d’entreprises françaises comme Peugeot, Arcelor et bien d’autres, licenciant à tour de bras malgré des bénéfices énormes sont légion. C’est l’exemple immédiat de cette violence exercée par la confrérie des grandes familles ! Il y a ensuite la violence politique avec le mensonge d’État comme technique assumée. Le président Hollande et son gouvernement ont beaucoup trahi leurs promesses de campagne et les valeurs socialistes. C’est une violence terrible que le mensonge politique. La classe dominante use aussi d’une violence idéologique puisqu’il s’agit de faire croire que le néolibéralisme est naturel. Que les marchés sont comme la lune qui brille ou les prés qui verdoient. Pour ce faire, cette classe très consciente d’elle-même utilise une autre forme de violence : la violence linguistique. Ici, il s’agit de manipuler le langage pour corrompre la pensée. Toutes ces violences forment au final une sorte de feu d’artifice qui aboutit chez les classes moyennes et populaires à un fatalisme mortifère avec le sentiment qu’il est impossible de changer les choses. Et c’est ça le plus terrible.
Vous parlez de mensonge d’État comme violence politique. Le président Hollande continue à mener une politique dans la continuité de celle de son prédécesseur. N’est-il pas finalement lui aussi un « président des riches », comme le titrait votre précédent ouvrage faisant référence au quinquennat de Sarkozy ?
Michel Pinçon. Une des violences les plus profondes, c’est la perte d’adhésion des couches populaires au discours politique. On peut parler aujourd’hui de trahison politique, c’est vrai. Mais le fait est que, dès 1985, François Hollande, jeune socialiste maître de conférences à l’université, cosignait un livre intitulé La gauche qui bouge, qui correspond point par point à son programme actuel basé sur l’idée qu’il faut faire des économies dans un seul système possible : le capitalisme. Expliquant au passage que cette politique libérale était la seule chance pour la gauche de succéder à la droite. Or avec un tel point de vue, il ne peut y avoir de vraie opposition.
"L’alternative, telle que les principaux dirigeants du PS la conçoivent, c’est fini"
Le changement, ce n’est donc pas pour maintenant ?
Michel Pinçon. En fait, il y a deux mots pour parler de changement : ce sont les mots alternance et alternative. Or l’alternative, telle que les principaux dirigeants du PS la conçoivent, c’est fini. Il ne s’agit en réalité que d’alternance. La majorité des cadres dirigeants étant acquise au libéralisme. Ce livre qui se nomme La gauche qui bouge n’est d’ailleurs plus trouvable en librairie et a disparu de la bibliographie officielle du président. En fait, on se retrouve dans la situation des pays anglo-saxons. Avec des démocrates et des républicains comme aux États-Unis sans qu’il y ait de différences de fond sur le modèle économique. Obama a certes travaillé dans un sens social avec ses garanties santé. Mais il ne s’attaque pas à Goldman Sachs et aux têtes nocives de la finance anglo-saxonne. Obama, c’est l’alternance post-Bush. Blair, c’est l’alternance post-Thatcher. Hollande, c’est l’alternance post-Sarkozy.
via www.humanite.fr