L’heure du peuple | Mediapart

Confusément, sans porte-parole unique ni direction politique, le peuple tente d'imposer d'autres priorités, d'autres nécessités. Le réalisme est de son côté, tandis que la fiction est l'arme du pouvoir. Il a compris que ce dernier entend faire payer la note de la crise par les plus modestes. Il sait que le gouvernement préfère tailler dans les dépenses sociales plutôt que taxer les richesses financières. Il sent que les raisonnements budgétaires, entre déficits et dettes, masquent une politique socialement injuste sous leur expertise obscure et verbeuse. Sans avoir entendu l'aveu candide du milliardaire américain Warren Buffett à CNN en mai 2005, il se doute déjà que c'est bien cela qui se joue : « Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner. »

Nul hasard évidemment si cette citation se trouve en exergue du livre récent des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des riches (Zones, 2010). Nul hasard non plus si, au tout début de la présidence de Nicolas Sarkozy, l'un des porte-voix du patronat, Denis Kessler, doté d'un franc cynisme, lâchait un aveu semblable, créditant le nouveau régime de vouloir « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance » et, au fond, prendre ainsi une revanche historique sur le Front populaire de 1936 dont les idéaux inaccomplis inspirèrent nombre des réformes de 1945. Nul hasard enfin si, dans un lapsus à répétition, le patron des députés UMP, Jean-François Copé, a régulièrement exprimé sa crainte d'une France saisie par « une tentation de la nuit du 4 août dont il faut se débarrasser » (en 2009), voire d'une « ambiance malsaine de nuit du 4 août » (en juin 2010). Oui, cette nuit du 4 août 1789 qui pourtant marque le début de la fin de l'Ancien Régime avec l'abolition des privilèges. Ils ne se cachent donc pas de craindre pour leurs privilèges. Et s'ils ont peur du peuple, c'est parce qu'il n'est pas dupe de leurs intentions.

via www.mediapart.fr

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