Les nomades low cost des chantiers français | Mediapart

« Voici mon numéro. Appelez-moi si vous voulez qu'on regarde ensemble vos fiches de paie. Vous avez des droits, vous devez être payé comme un travailleur français selon la grille des qualifications. » Laurent Dias n'a pas de carte de visite mais toujours un bout de papier sur lui où griffonner son numéro de téléphone portable. Secrétaire de la section Auvergne de la CGT construction, ce fils d'immigrés portugais, plombier de métier, toujours vêtu d'un vieux jean et de chaussures de chantier, parcourt la région au volant de sa Clio de fonction, avalant 30 000 kilomètres par an.

Avec la patience et le flair d'un inspecteur de police dont il a pris les tics à force de « descentes de chantier », il traque les dérives du détachement temporaire de travailleurs européens en France. Recense les ferrailleurs polonais, les maçons portugais, les soudeurs roumains, « payés comme des esclaves ». Fait la guerre aux petites et grosses boîtes qui redoublent d’imagination pour profiter de cette main-d’œuvre au meilleur coût. Et alerte l'Inspection du travail.

© Rachida El Azzouzi

Ce mercredi 7 novembre, l'élu syndical fait route avec Aurore, la juriste de leur section, et une stagiaire en droit qui prépare le concours du barreau, en direction de Cournon, une commune à quelques kilomètres de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Dix Portugais, détachés par une agence d'intérim portugaise sur un chantier de BTP, seraient payés 700 euros brut tout compris pour 40 heures hebdomadaires – salaire, panier repas, hébergement et transport inclus !

Il a reçu la copie d'un contrat la veille. Chemin faisant, il s'inquiète de trouver « les Portugais » sur place. Souvent, il doit repasser plusieurs fois avant de nouer un contact. Soit les ouvriers sont absents, soit ils ont peur de parler et d'être renvoyés dans leur pays d'origine manu militari pour avoir brisé le silence. Pas ce matin.

Assis sur des blocs de matériaux, devant les préfabriqués qui servent de cantine, les intérimaires portugais, tous originaires de Braga, au nord du pays, région sinistrée par le chômage où le bâtiment est en crise, terminent leur pause déjeuner et se réchauffent sous le soleil hivernal à l'écart des « Français ». Laurent Dias les reconnaît à dix mètres, à leurs habits, toujours, un jean et des chaussures troués.

« On dirait des clochards à côté des Playmobil en bleu de travail qui ont droit à une tenue neuve de chantier par an », lâche ce fils d'immigrés portugais, réfugiés politiques en Auvergne dans les années soixante. Il parle la langue du pays, un atout précieux pour communiquer et susciter la confiance.

© Rachida El Azzouzi

Après quelques minutes de défiance, « le courant passe ». Manuel (*), la cinquantaine, est content de voir « un syndicaliste », et confirme les salaires. Prêt à fournir ses fiches de paie, il est le plus révolté de la bande, le plus calé en droit français. I

via www.mediapart.fr

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