Les armes nucléaires américaines et leurs « accidents »

Contre l'insouciance et l'oubli qui menacent, Benoît Pelopidas, chercheur affilé à l'université de Stanford, et Sébastien Philippe, doctorant à Princeton, rendent compte de l'ouvrage d'Eric Schlosser, Command and Control, récemment paru aux Etats-Unis, qui a notamment mis au jour « une liste de plus de 1 200 accidents pour la période de 1950 à 1968 ». Un danger qui court toujours.


 

Le 18 septembre 1980, un Titan 2, le plus puissant missile balistique intercontinental jamais déployé par les Etats Unis, explose dans son silo, près de la ville de Damascus (Arkansas). L’explosion détruit la lourde porte de 700 tonnes censée protéger le missile d’une attaque nucléaire soviétique, et projette dans les airs la tête thermonucléaire W-53, qui équipe alors le missile. Celle-ci possède une puissance explosive équivalente à 9 millions de tonnes de TNT, 600 fois plus que la bombe d’Hiroshima, suffisante pour annihiler Paris intramuros et détruire toutes les structures résidentielles de Notre-Dame à Versailles. Heureusement, l’arme s'écrase quelques centaines de mètres plus loin, au bord d’une route de campagne, sans déclencher d’explosion nucléaire. Deux techniciens de l’US Air Force trouvent néanmoins la mort dans cet accident qu'Eric Schlosser raconte en détail dans son dernier ouvrage, Command and Control (New York: Allen Lane, 2013).

Un simple geste malencontreux aura suffi à causer un accident aussi impressionnant que celui de Damascus : une clé à douille glisse de la main d’un technicien lors d’une opération de maintenance et vient perforer dans sa chute le premier étage propulsif du missile, entraînant la fuite du carburant liquide. S’ensuit une course contre la montre pour éviter, en vain, l’explosion du missile. Au fil de la lecture, Damascus se révèle pourtant n’être qu’un événement terrifiant parmi tant d’autres impliquant des armes nucléaires américaines depuis 1945, qu’Eric Schlosser documente dans cet ouvrage, aboutissement d’une enquête de plus de six ans au sein du complexe nucléaire militaire américain.

L’ouvrage accomplit trois tâches salutaires.

D'abord, il donne la parole aux chevilles ouvrières qui assurent au quotidien le maintien en condition opérationnelle des forces stratégiques américaines. Au-delà de l'environnement du laboratoire mythique de Los Alamos, documenté par les anthropologues Hugh Gusterson et Joseph Masco, bien peu de choses sont connues sur ces anonymes du complexe nucléaire.

La jeunesse et les comportements cavaliers des équipes de maintenance des missiles balistiques prennent chair aux côtés de leur héroïsme, lorsque ceux-ci interviennent dans des environnements extrêmes, et souvent avec du matériel défaillant, pour tenter d’empêcher de terribles accidents. Les blâmes et récompenses que leur délivre le complexe nucléaire lorsqu’un accident survient révèlent une allocation de la responsabilité qui incrimine les opérateurs et empêche trop souvent de saisir les problèmes structurels de ces systèmes d’armes.

Parmi les personnages clés de cette histoire de la sûreté nucléaire, on découvre, sur le chemin de Damascus, Bob Purefoy, du laboratoire national de Sandia. Diplômé en ingénierie électrique et recruté à sa sortie de l’université, il participe à la conception de systèmes d

via blogs.mediapart.fr

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