Vous montrez dans votre roman que ces tribus, au temps de la traite, étaient totalement étrangères les unes aux autres.
L’Afrique a été construite par les Européens comme un grand pays. On parle de «littérature africaine». Mais je me sens culturellement plus proche d’un Antillais que d’un Ethiopien. Le Sahel est dépaysant, pour moi. Donc oui, les tribus qui ont commercé avec les Européens ont vendu, de leur point de vue, des étrangers. Elles ont reçu en échange des armes à feu, et les voisins se sont mis à capturer pour acquérir les mêmes armes. Des populations ont résisté. Dans un premier temps, on n’avait pas le droit de vendre les siens. Parfois, on vendait les criminels. Puis il y a eu une période d’emballement, où toutes ces règles ont explosé. C’est une histoire complexe. Dire: «Les Africains se sont vendus entre eux», c’est comme dire que pendant la période nazie, des Européens se sont gazés entre eux. On ne parle pas vraiment du nazisme si on s’arrête à ça.
Les Blancs, vos personnages les appellent «hommes aux pieds de poule». Vous dites que les Africains avaient d’eux une perception non-raciale.
L’expression douala qu’on traduit par «blanc» signifie «pattes d’oiseau». Les habitants de l’actuel Cameroun ont trouvé que les vêtements donnaient aux Européens des jambes d’oiseau. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas remarqué la différence de peau. Mais les Africains n’ont pas fabriqué de concept qui nie l’humanité de l’autre.
Africains et Européens se sont côtoyés pendant longtemps sans que le paramètre racial intervienne, sans qu’on perçoive les Noirs comme des inférieurs. Mais les chrétiens ont dû in fine inventer cette altérité pour justifier le traitement qu’ils leur infligeaient. Quand je dis «les Noirs», je précise que le choix de ce terme pour désigner les Africains n’est pas anodin. De même que le choix de se définir comme «blanc». Ce sont des mots politiques. On aurait pu en choisir d’autres. On trouve le mot «noir» dans des textes bibliques pour qualifier les Ethiopiens, sans que ça ait un caractère négatif. Reste qu’il y a peu de cultures au monde où il est positif. Y compris au sud du Sahara, où il renvoie à la nuit, aux ténèbres. Il faudrait sortir de ce vocabulaire, mais on n’y parvient pas.
Les personnages du roman se peignent souvent la peau. Comment avez-vous reconstitué les habitudes culturelles et vestimentaires de ces tribus?
Je me suis basé sur l’espace bantou, l’Afrique centrale équatoriale, qui est une aire culturelle cohérente. Je crée dans mes livres un espace bantou imaginaire, ce qui me permet de sortir des divisions coloniales. Les gens se peignaient en rouge ou en brun pour se protéger du soleil, et en blanc pour commercer avec les esprits. Il y avait toujours un sens à la couleur. Il y avait aussi de la coquetterie. Au Sahel en revanche, les gens sont vêtus depuis longtemps. Il y a une tradition du tissage. Mais en Afrique centrale, on est plus souvent nu, et on utilise la scarification ou la peinture en guise de vêtement. On peut apprendre tout ça dans les musées. On y voit des objets qui, pour ces peuples sans écriture, font office d’archive, sur les coiffures, les armes, les objets du quotidien.
Que reste-t-il des cultures pré-coloniales? Vous parlez par exemple de la division des jours en six périodes.
Il reste peu de choses. Les six identités du soleil, on n’en parle plus. On a repris la division occidentale: matin, après-midi, soir, nuit. On a intégré dans la langue beaucoup d’apports extérieurs. Mais certains éléments ont survécu. On dit toujours bonjour en demandant: «Comment es-tu sorti ?» Après, il faut voir que le Cameroun est un pays particulier, extrêmement divers culturellement. On y compte beaucoup de langues, environ 200, dont au
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