Ce fut un conseil municipal vraiment extraordinaire. Sous l'impulsion du commando poétique des Souffleurs, le maire d »Aubervilliers Jacques Salvator avait inscrit à l'ordre du jour du conseil ce jeudi, une phrase attribuée au camarade Shakespeare :
« Ils ont échoué parce qu'ils n'avaient pas commencé par le rêve. »
La tenue des débats avait été confiée au citoyen d'honneur de la ville d'Aubervilliers, Stéphane Hessel, qui fêtait ses 94 ans.
La collecte des rêves dans la ville
Cette soirée dans une salle plus que comble (retransmise en vidéo dans une salle adjacente) avait été précédée par un mois de collectes des Souffleurs (qui louent un hangar dans la ville) auprès de la population d'Aubervilliers, une ville où l'on parle 93 langues.
Les rêves des habitants s'en tiennent souvent à des besoins très concrets :
- plus d'activités pour les enfants,
- un passage souterrain pour aller à l'école,
- des balançoires,
- un toboggan pas « nul »,
- « davantage de sports pour les jeunes »,
- une « bonne association de quartier »,
- « une sécurité sans uniforme »,
- « rentrer chez moi au Cap-Vert pour aider ma famille », etc.
D'autres glissent plus vers un rêve de monde plus beau et meilleur :
- « repeindre les bâtiments avec des couleurs vives, à l'intérieur et à l'extérieur » ;
- « avoir un microscope ici pour voir les étoiles, des choses un peu lointaines » ;
- « les dimanches mettre des tables et faire un grand banquet », etc.
Plusieurs habitants ont des rêves qui vont vers un chahut voire une refonte du réel :
- « mon rêve serait qu'il y ait des personnes plus ouvertes, qu'il y ait plus de boulot » ;
- « moi, je ne fais pas de rêves à cause du shit » ;
- « mon rêve serait d'avoir du temps, plus de temps pour rêver ».
Hessel, Ralite, Savator, Comte, un carré d'as
Tous ces rêves consignés sur papier libre tapissaient l'escalier qui conduit à la salle du conseil, les murs de la salle et jusqu'à la table dressée sur la tribune où prirent place Stéphane Hessel, le maire Jacques Salvator, Olivier Comte (l'âme en chef des Souffleurs) et le signataire de ces signes chargé d'improviser oralement la synthèse de cette soirée.
Jack Ralite, l'ancien maire d'Aubervilliers, celui qui y implanta le premier théâtre de la périphérie parisienne, et qui n'aime rien tant que de pimenter ses interventions de citations, ne tarda pas à gagner lui aussi la tribune.
Avant de passer la parole à Stéphane Hessel, le maire évoqua la vie de l'auteur de « Indignez-vous ! » (plus d'un millions d'exemplaires vendus, traduction dans 34 langues) et quand il lui cita l'un de ses poèmes de jeunesse, Hessel, les yeux clos, récita en écho, la voix chaudement ferme, claire.
1. Un grand dépôt de poésie en 93 langues
Puis, en expert rompu aux séances plénières, Stéphane Hessel mena de main de maître les débats en lançant la première proposition sous-jacente à la phrase attribuée à Shakespeare cadrant l'ordre du jour : créer « un grand dépôt » aux Archives municipales de la ville en collectant les « paroles poétiques dormantes dans l'intimité des 93 langues parlées à Aubervi
via blogs.rue89.com