Le Choix de la Défaite, Les élites françaises dans les années 1930, Entretien avec Madame Lacroix-Riz (à propos de la guerre aux salaires, de la Synarchie, des Schueller-Bettencourt après 1945, etc)

Nous publions un entretien avec Madame Lacroix-Riz, historienne française, en raison de la réédition de son ouvrage "Le choix de la défaite…". L'entretien complet est à lire au format PDF, en fin de note.


L’action
littéraire :

La situation
actuelle internationale que nous connaissons et que nous subissons
semble avoir beaucoup de ressemblances avec celle du monde au début
des années 1930. Certaines pages où vous parlez précisément des
manœuvres des dirigeants pour la baisse des salaires,
«l’assainissement des finances » (p.48) correspondent
exactement à ce qui se passe désormais internationalement. 60 ans
après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, des facteurs
déterminants de son déclenchement structurent encore notre monde.
Êtes-vous inquiète ? Pensez-vous que des mauvais coups plus
graves encore de la part de ces élites qui se sont elles-mêmes
mises en cause dans leur gestion des pouvoirs dans les années 1930
sont encore à venir et lesquels ? Comment considérez-vous que
les citoyens devraient résister, à l’aune des enseignements des
évènements des années 1930 ?


Annie
Lacroix-Riz : mes ouvrages sur les années de crise décrivent
des phénomènes propres à toute crise systémique du capitalisme,
notamment les efforts de toute nature faits par les maîtres de
l’économie pour reporter ses effets sur les autres classes
sociales. Toute crise de surproduction menace directement les
profits, lesquels, donc, ne peuvent être maintenus (voire augmentés)
dans certains secteurs que par une pression écrasante sur tous les
salaires, directs et indirects. Je parle naturellement des vrais
salaires, pas de ceux des grands auxiliaires du capital, dont les
émoluments faramineux et « parachutes dorés »
n’appartiennent pas à cette catégorie et sont au contraire
fortement augmentés dans pareille conjoncture, vu leur rôle décisif
dans le procès de production (l’influence sur les salaires et les
licenciements). Si on étudiait encore Marx à l’université et
dans une petite fraction de la société, ce qui était le cas quand
il existait un parti communiste
stricto
sensu
,
influent au surplus, une partie de la population saurait que salaire
et profit sont antagoniques par nature, et que, face à une baisse de
la production et des ventes, qui peut être considérable, maintenir
ou augmenter le profit suppose d’écraser le salaire. Cette baisse
est imposée avec brutalité, et dans des proportions inacceptables
par les victimes, ce qui pose d’emblée la question politique. Les
modalités de la mise en œuvre de cette réduction drastique se
traduisent par divers phénomènes étudiés pour
l’entre-deux-guerres dans
Le
choix de la défaite
et
De
Munich à Vichy
.
Phénomènes politiques et idéologiques : 1° « réforme
de l’État », estimée indispensable dans
l’entre-deux-guerres, le régime étant estimé trop sensible aux
desiderata populaires, réalisée via Vichy et définitivement depuis
le régime institué en 1958 : la liquidation par de Gaulle des
séquelles du parlementarisme a définitivement fait du parlement un
ectoplasme, le tout sous l'égide du grand synarque Jacques Rueff,
promu au ministère des Finances. Ne s’en impose pas moins, dans la
crise actuelle, le renforcement marqué de la dictature politique du
grand capital en vue d’obtenir des populations des sacrifices
matériels, qu’elles ne sauraient consentir « spontanément »
(même si leur « spontanéité » est infléchie par les
publicistes, journalistes, partis qui les dupent quotidiennement) ;
2° rôle des publicistes, journalistes, partis, financièrement
contrôlés par le capital financier, chargés de convaincre les
victimes de tout subir au motif de la fatalité (le capitalisme étant
aussi « naturel » que la pluie et le beau temps) et de
l’abomination de tout autre système économique (l’URSS a servi
de repoussoir à deux reprises , mais bien plus efficacement dans la
présente crise que dans celle des années 1930, vu le degré de
perfection atteint désormais par la criminalisation du communisme en
général et des Soviets en particulier) ; 3° en cas de
non-contrôle ou de maîtrise insuffisante du rapport de forces
politique, modalités du combat contre les gêneurs ou de leur
élimination pure et simple (ce qui nous ramène à 1°) :
répression contre les partis, syndicats et groupements hostiles
avant éventuelle interdiction, excitation soigneusement calculée de
la fibre xénophobe, suppression des élections, jugées trop
aventurées en plein assaut contre les conditions de vie et de
travail (« l’ajournement » des législatives du
printemps 1940 par le « républicain » Daladier fut
annoncée en juillet 1939   un an avant Vichy), etc. Quand on
connaît l’avant-guerre, l’opprobre jeté par les hommes
politiques et la grande presse sur les électeurs de mai 2005 qui ont
voté non au référendum sur l’Europe suscite forcément
réflexion. Il en va de même pour la poussée xénophobe, calquée
sur celle de 1938-1940, que j’évoque dans un texte d’août 2010
envoyé à ma liste de diffusion et que vous avez diffusé, je
crois.Phénomènes militaires, résultant de la subordination
organique du haut état-major aux mêmes dirigeants économiques, que
nul ne peut soupçonner en l’absence de démonstration
archivistique, etc. Ce que j’écris sur la priorité accordée dans
la seconde moitié des années trente aux préparatifs de la guerre
intérieure
  en plein abandon des dispositions de sécurité extérieure ou
de protection du territoire menacé par l’Allemagne   éveille
forcément écho dans la phase présente de préparatifs obsédants
de guerre urbaine, sous couvert de lutte contre le « terrorisme ».
Bref, les mesures prises aujourd'hui contre les salaires directs et
indirects de la population ressemblent comme des sœurs à celles
adoptées pendant la crise des années 1930. Or, comme celles-ci,
elles empruntent des voies parfois insoupçonnables : on peut
difficilement comprendre d’emblée que le souci de « sécurité »
proclamé, la glose sur le vieillissement de la population imposant
élévation de l’âge de la retraite et la chasse aux étrangers en
général et aux Roms (fussent-ils français) en particulier masquent
la pure et simple casse des salaires. La connaissance de l’histoire
présente donc d’autant plus de danger qu’elle montre à nos
contemporains ce que les élites d’hier ont fait à leurs
ascendants, et leur suggère le sort terrible que leur réservent les
élites actuelles, héritières (y compris directement) de celles
d’hier. Ajoutons que la crise de surproduction qui dure depuis le
tournant des années 1960, et dont les sursauts récents ont atteint
une acuité inouïe, est infiniment plus grave que la précédente,
de même que celle de 1929-1931 était plus grave que celle de 1873.
La violence déployée contre les populations, dont nous n’assistons
à l’évidence qu’aux prémices, est naturellement éclairée par
l’étude de la violence exercée dans le passé. Le lecteur apprend
au surplus que les élites d’hier sont demeurées aux affaires
après la chute de Vichy alors même qu’on a seriné aux Français
depuis la Libération que la donne politique avait été alors
profondément transformée. Pour choisir un exemple significatif,
suggestif en cette fin d’été 2010, il ne peut pas ne pas
réfléchir au fait que le synarque et dirigeant de la Cagoule Eugène
Schueller, lié à Eugène Deloncle et autres grands sicaires
cagoulards que je décris, père de Liliane Bettencourt, a dominé
l’entre-deux-guerres politique, contribué à écraser les salariés
et à assassiner la république en s’appuyant avant et pendant la
guerre sur l’ennemi extérieur, allemand, avant de se rallier à la
Pax
Americana
,
puis que lui-même, et après lui son gendre et sa fille ont assuré
les mêmes financements politiques après-guerre, et ont dominé la
vie politique sous les gouvernements de droite comme de gauche, avant
et après 1958. La carrière politique d’un François Mitterrand
s’est déployée dès sa prime jeunesse d’avant-guerre sous
l'égide de la Cagoule, dont Eugène Schueller avait été l’une
des personnalités marquantes; Schueller fut un des artisans directs
de son ascension d’après-guerre. Le groupe qu’il a fondé,
l’Oréal, est demeuré un des grands bailleurs de fonds organiques
de la droite et d’une partie de la gauche de gouvernement. Les
derniers développements politiques du feuilleton estival de 2010
confirment   ce que d’ordinaire on n’apprend que quelques
décennies après les faits, sous la plume d’historiens qui
intéressent peu de monde, ou qu’on n’apprend jamais   que
la famille
Bettencourt
(
Schueller,
convient-il de préciser), « honorable » selon le
ministre du Travail Eric Woerth, régit   parmi bien d’autres
  la politique française : un citoyen s’intéressant à
l’histoire sait que la chose dure depuis trois générations. Avec
les poids lourds, Banque de France (1802), émanation des grandes
banques bailleuses de fonds du coup d’État de Bonaparte, et Comité
des Forges, créé en 1864, notamment par un Wendel et un Schneider,
on passe aux dynasties séculaires : toujours régnantes,
jusqu’au sommet de l’État, elles résistent à tous les
apparents « changements » politiques intervenus depuis la
fin du 18
e
siècle et le triomphe de la révolution bourgeoise. Ceux de la
Libération comme tous ceux qui avaient précédé. Je suis
historienne, et contribue en tant que telle à éclairer ces
continuités qu’on s’acharne, aujourd'hui plus que jamais, à
voiler. Mon travail montre à tout le moins que les populations qui
lâchent pied   à la fin des années 1930 pour le cas français
  paient très cher leur passivité, laissant ainsi le champ
libre aux puissants casseurs de salaires, de l’intérieur et de
l’extérieur. La question de ce qu’il convient de faire pour
éviter la répétition du passe relève des choix politiques de
chacun qui, soit favorisent cette passivité, soit y font obstacle.
Ma particularité dans le champ universitaire des décennies récentes
est d’avoir continué à afficher des choix marxistes d’ordinaire
niés ou cachés, et surtout rarissimes depuis plus de vingt ans.
Taxer de communisme (conviction que je revendique assurément) un
chercheur permet depuis vingt ans d’esquiver tous les problèmes
méthodologiques et scientifiques : or, c’est en tant que
praticien
qu’un historien communiste, non-communiste ou anticommuniste doit
être lu et jaugé sur le plan académique.

L’action
littéraire : Les services de renseignement français ont
également établi que, pendant les années 1930, avant l’arrivée
des nazis au pouvoir et bien sur plus encore après, ceux-ci ont
répandu en Europe et plus particulièrement en France des agents,
non pas dormants, mais très actifs, de plusieurs milliers. Ce
laisser-faire à l’endroit de personnes qui pourtant pouvaient être
clairement considérées comme des ennemis dangereux n’est-il pas
la meilleure preuve d’une trahison choisie et totalement
volontaire, sans moindre part à laisser à une certaine
«inconscience» ? Qu’est-ce que ces agents ont fait sur le
sol français pendant toutes ces années ?

Annie
Lacroix-Riz : comme le montrent les archives policières de la
période 1933-1939, Berlin a pu tranquillement préparer, à Paris
comme dans toutes les capitales de l’Europe bientôt occupée, son
Occupation prochaine. Le chapitre 5 du
Choix
de la défaite
étudie
cet investissement effarant de Paris et de la France, au su et au vu
des divers ministères concernés et, jour par jour, heure par heure,
des autorités policières – agissements qui n’ont plus connu
d’entrave depuis l’assassinat de Barthou et le triomphe de la
ligne Laval, y compris dans la phase Blum du Front populaire.
De
Munich à Vichy
étudie
avec précision le lien entre les œuvres anticommunistes renforcées
depuis le gouvernement Daladier d’avril 1938 et surtout à la suite
de Munich puis de la défaite ouvrière de novembre 1938, et la
collaboration policière franco-allemande
stricto
sensu
. Il
ne s'agissait plus seulement alors de laisser les hitlériens (comme
les fascistes italiens depuis 1926) s’en prendre librement aux
antifascistes et aux juifs allemands sur le sol français :
s’amorça alors une active collaboration policière
franco-allemande contre l’ennemi
intérieur.
Le phénomène, que j’ai découvert à l'occasion de mes recherches
sur ces deux ouvrages et qu’il faudrait étudier de façon plus
systématique, est symbolisé par Carl Boemelburg : ce
policier
et espion venu de Berlin à
Paris dans les fourgons de Ribbentrop en décembre 1938, resté
jusqu’en 1939, est revenu à Paris dès juin 1940 pour diriger la
répression anticommuniste et antijuive et l’espionnage allemands
jusqu’à l’été 1944. Je pense lui réserver une place dans mon
prochain livre, qui traitera entre autres des œuvres du second de
Laval depuis avril 1942, Bousquet, un des grands interlocuteurs et
complices français de Boemelburg et du chef de celui-ci,
Helmut
Knochen.

L’action
littéraire :

Puisqu’il y
a un silence actuellement institutionnel sur «la Synarchie», cette
tête pensante de la Cagoule, pouvez-vous nous présenter ces hommes
qui voulaient faire chuter la République et qui ont préparé la
collaboration ? Quel a été leur destin, et pour ceux qui ont
survécu à la guerre (par exemple les membres du «Club de
Fresnes », ceux qui sont passés par la prison), que leur
est-il arrivé ?

Annie Lacroix-Riz :

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"1940 : le choix de la défaite"
envoyé par alainlt22. – L'info video en direct.

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