Des milliers de policiers ont manifesté hier pour exprimer leur malaise et dénoncer le « laxisme » des juges à la suite de la fusillade de L’Île-Saint-Denis. Une accusation injustifiée, estime le sociologue Laurent Mucchielli.Emmenés par leurs principaux syndicats, plusieurs milliers de policiers se sont rassemblés hier place Vendôme, à Paris, sous les fenêtres de la chancellerie, pour exprimer leur malaise et dénoncer le « laxisme » de la justice à la suite de la cavale dramatique d’un détenu en permission de sortie. Auteur de Sociologie de la délinquance (Armand Colin), Laurent Mucchielli démêle le vrai du faux de ce rassemblement.
Comment expliquez-vous cette colère chez les policiers ?
Laurent Mucchielli Il y a, bien évidemment, une surenchère des syndicats les plus droitiers, comme Alliance, qui utilise ce mouvement pour mener une énième attaque contre la ministre de la Justice. Mais, au-delà, plusieurs enjeux peuvent expliquer cette grogne des policiers. Au plan syndical, il y a des négociations sur les salaires engagées depuis un moment. La manifestation permet donc de mettre la pression sur le gouvernement, le tout sur fond de concurrence entre syndicats, chez les gardiens de la paix comme chez les officiers. Chez les policiers de base, je constate surtout un ras-le-bol face à des missions qui se multiplient à l’infini et face à une charge procédurale (la « paperasse ») qui augmente d’années en années. Enfin, la fusillade de L’Île-Saint-Denis a mis le feu aux poudres. C’est clairement un « raté » de la justice, une erreur des membres de la commission d’application des peines qui ont accordé leur confiance à quelqu’un qui ne la méritait pas. Mais il faut savoir que sur quelque 50 000 permissions de sortie accordées chaque année, le taux d’erreur (évasions ou incidents graves) est d’environ 0,5 %. Peut-on sérieusement prétendre que le système est mauvais alors qu’il marche dans 99,5 % des cas ?
Beaucoup dénoncent le « laxisme » de la justice. Ce reproche est-il justifié ?
Laurent Mucchielli Le reproche est classique chez les policiers, on l’entend depuis plusieurs dizaines d’années. En réalité, on confond rapidité et sévérité. La justice est lente, ce qui ne peut qu’agacer des policiers qui, eux, travaillent dans l’urgence. Lorsqu’ils pensent avoir arrêté le coupable, ils aimeraient que la justice juge tout de suite. Or, dans un État de droit, la justice ne peut pas fonctionner ainsi. En fait, la justice se scinde progressivement en deux. D’un côté, pour réagir plus vite, les parquets utilisent de plus en plus les mesures dites alternatives aux poursuites, pour la petite délinquance. Ils
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