L’argent roi. Entretien avec Karl Marx (par Henri Pena-Ruiz*)

L’entretien que vous allez lire n’a jamais eu lieu. Et pourtant rien n’est inventé ! Karl Marx est bien l’auteur de toutes les réponses qu’il a faites à Henri Pena-Ruiz, puisque cette « vraie-fausse » interview a été écrite… à partir de ses livres ! (Note de l’éditeur)

Henri Pena-Ruiz : Bonjour, monsieur Marx. Je ne peux vous cacher mon émotion. Vous représentez tant de choses pour ceux que révolte le monde comme il va ! Aujourd'hui le capitalisme fait rage. C'est le règne de l'argent roi. Comment caractériser le genre de relations qu'il instaure entre les hommes ?

Karl Marx : L'argent en possédant la qualité de tout acheter, en possédant la qualité de s'approprier tous les objets est donc l'objet comme possession éminente. L'universalité de sa qualité est la toute-puissance de son essence. Il passe donc pour tout-puissant… L'argent est l'entremetteur entre le besoin et l'objet, entre la vie et le moyen de subsistance de l'homme. Mais ce qui sert de moyen terme à ma vie sert aussi de moyen terme à l'existence des autres hommes pour moi. C'est pour moi l'autre homme.
(Marx se lève et récite de mémoire un extrait de Goethe.)

H.P. : Il y a aussi le fameux réquisitoire de Shakespeare, dans sa pièce intitulée Timon d’Athènes… (Toujours debout, Marx récite maintenant la célèbre diatribe sur l’argent.)

K.M. : « De l'or ! De l'or jaune, étincelant, précieux ! Non, dieux du ciel, je ne suis pas un soupirant frivole… Ce peu d'or suffirait à rendre blanc le noir, beau le laid, juste l'injuste, noble l’infâme, jeune le vieux, vaillant le lâche… Cet or écartera de vos autels vos prêtres et vos serviteurs ; il arrachera l'oreiller de dessous la tête des mourants ; cet esclave jaune garantira et rompra les serments, bénira les maudits, fera adorer la lèpre livide, donnera aux voleurs place, titre, hommage et louange sur le banc des sénateurs ; c'est lui qui pousse à se remarier la veuve éplorée. Celle qui ferait lever la gorge à un hôpital de plaies hideuses, l’or l'embaume, la parfume, en fait de nouveau un jour d'avril. Allons, métal maudit, putain commune à toute l'humanité, toi qui mets la discorde parmi la foule des nations… » (Marx se rassoit, et me sourit avant de lancer un très bref commentaire qui est comme une invitation à l'analyse.)
Shakespeare décrit parfaitement l’essence de l'argent.

H.P. : C'est effectivement saisissant ! Finalement n'est-ce pas la même idée que Goethe et Shakespeare, à des époques fort différentes, mettent en évidence ? Ne mettent-ils pas en cause la mercantilisation de tous les rapports humains ?

K.M. : Commençons d'abord par expliquer le passage de Goethe. Ce qui grâce à l'argent est pour moi, ce que je peux payer, c'est-à-dire ce que l'argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l’argent. Ma force est tout aussi grande qu'est la force de l'argent. Les qualités de l'argent sont mes qualités et mes forces essentielles – à moi son possesseur. Ce que je suis et ce que je peux n'est donc nullement déterminé par mon individualité […]. Moi qui par l’argent peux tout ce à quoi aspire un cœur humain, est-ce que je ne possède pas tous les pouvoirs humains ? Donc mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ? Si l'argent est le lien qui me lie ù la vie humaine, qui lie à moi la société et qui me lie à la nature et à l'homme, l'argent n'est-il pas le lien de tous les liens ? L'argent ne peut-il pas dénouer et nouer tous

via blogs.mediapart.fr

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