La transformation du public en masse (de Charles Wright Mills) – Acrimed | Action Critique Médias

Charles Wright Mills, sociologue américain décédé en 1962, a travaillé sur la place des élites aux États-Unis. Véritable icône de la gauche intellectuelle, il a publié « L’élite au pouvoir » en 1956. L’éditeur Agone a eu la bonne idée de traduire et de rééditer cet ouvrage en 2012. Nous vous proposons quelques extraits consacrés aux médias. (Acrimed)

La transformation du public en masse nous intéresse particulièrement, car elle nous fournit un indice essentiel pour comprendre l’élite au pouvoir. Si cette élite est vraiment responsable devant une communauté de publics, ou même si son existence est simplement reliée à cette communauté, elle a une signification tout à fait différente de celle qu’elle a si ce public se transforme en une société de masse. Et il faut étudier au moins quatre dimensions si l’on veut saisir les différences entre public et masse.

1. Il y a d’abord le rapport numérique entre les donneurs d’opinion et les receveurs ; c’est la façon la plus simple d’évaluer la signification sociale des médias de communication organisés. C’est la transformation de ce rapport, plus que tout autre facteur, qui représente l’élément essentiel des problèmes du public et de l’opinion publique dans l’évolution récente de la démocratie. À une extrémité de l’échelle des communications, on a deux hommes qui parlent personnellement l’un avec l’autre. À l’extrémité opposée, on a un porte-parole qui parle impersonnellement, par l’intermédiaire d’un réseau de communications, à des millions d’auditeurs et de spectateurs. Entre ces deux extrêmes, il y a les rassemblements et les réunions politiques, les sessions parlementaires, les débats des tribunaux, les petits cercles de discussion dominés par un homme, les cercles de discussion ouverts dans lesquels la parole circule librement entre cinquante personnes, etc.

2. La deuxième dimension dont nous devons nous occuper est la possibilité de répondre à une opinion par une autre sans craindre de représailles internes ou externes. Les conditions techniques des moyens de communication, en imposant un rapport numérique plus faible entre les parleurs et les auditeurs, peuvent supprimer la possibilité de répondre librement. Il peut exister des règles non officielles, reposant sur la sanction des conventions et sur la structure non officielle des groupes qui mènent l’opinion, pour décider qui peut parler, quand et pendant combien de temps. Ces règles peuvent être compatibles ou non avec les règles officielles et avec les sanctions institutionnelles qui régissent le processus de communication. A la limite, nous pouvons concevoir un monopole absolu des communications s’adressant à des groupes soumis de consommateurs de médias qui ne peuvent pas répondre, même « en privé ». A l’extrême inverse, il peut exister des conditions et des règlements favorisant le développement vaste et symétrique de l’opinion.

3. Il nous faut aussi considérer la relation qui existe entre la formation de l’opinion et sa réalisation sous forme d’action sociale, la facilité avec laquelle l’opinion peut influencer les décisions capitales. Bien entendu, la possibilité qu’ont les hommes de mettre collectivement en pratique leurs opinions est limitée par la position qu’ils occupent dans la structure du pouvoir. Cette structure peut être telle qu’elle limite de façon décisive leur capacité d’agir ; elle peut au contraire permettre ou même favoriser une telle action. Elle peut confiner l’action sociale au domaine local, ou elle peut élargir le champ des possibilités ; elle peut rendre l’action intermittente, ou lui donner une plus ou moins grande continuité.

4. Enfin, il faut se demander à quel point l’autorité institutionnelle, avec ses sa

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