Sous-titrée Témoigner du travail au tournant du XXIe siècle, l’étude de Corinne Grenouillet, Usines en textes, écritures au travail, encourage la lutte et la réflexion. Elle permet de ressentir et de penser. Elle allie la culture militante et la recherche savante. Publiée par une maison austère – Classiques Garnier –, cette approche fait profiter des courants d’air de la vie un milieu habituellement confiné : l’université.
D’une part, l’auteure s’est aventurée hors des sentiers balisés de son champ académique : spécialiste d’Aragon, elle laisse ici tomber l’empyrée littéraire pour céder à sa tentation sociologisante. La voici qui fonce tête (bien faite) baissée dans la réalité d’un monde du travail, de l’industrie et des petits boulots au tournant des années 2000. D’autre part, Corinne Grenouillet, maître de conférences à l’université de Strasbourg, fille d’ouvrier et femme d’ouvrier, au lieu de se hausser du col et d’astiquer les trois rangs d’hermine de sa toge, prend la liberté de chanter dans son arbre généalogique. D’où l’intérêt de son regard expert et complice, critique et compréhensif. Nous lisons, telle une chevauchée sui generis, cette somme forte de sept chapitres aux intitulés pourtant typiques de temps à autre : « Les nouveaux topoï du travail », par exemple…
Début de « Putain d'usine » (Rémy Ricordeau et à Alain Pitten), d'après le livre de Jean-Pierre Levaray (L'Insomniaque, 2002).Usines en textes se concentre donc sur ce que le capitalisme s’est attaché à rendre inaudible et invisible : des récits publiés dans les marges et condamnés à la confidentialité. Certains eurent droit à une forme de reconnaissance publique : L’Intérimaire noir (Ed. Présence africaine, 1986) de Samba-Kifwani, Mémoires de l’enclave (Mazarine, 1986) de Jean-Paul Goux, ou encore Les Tribulations d’une caissière (Stock, 2008) d’Anna Sam. Mais la littérature sociale constitue « une mer en réalité plus profonde », dont tentent de rendre compte quelques vigies insoumises, au nombre desquelles la revue en ligne Dissidences.
Loin du mouvement prolétarien né dans le sillage de la révolution bolchévique autour d’Henri Barbusse ou d’Henry Poulaille, dissemblables des écrivains ouvriers publiés jusque dans les années 1970 par François Maspero (Flins sans fin de Nicolas Dubost) ou les éditions de Minuit (L’Établi de Robert Linhart), les livres d’ouvriers consignent désormais la disparition du travail. Finie la distinction entre OS et OQ, remplacée par celle entre CDI et CDD. Le réel a aujourd'hui des allures d’Atlantide : comment retracer l’expérience laborieuse, au temps d'un chômage de masse nous garrottant du berceau à la tombe ?
Le processus demeure celui énoncé par Simone Weil, avant la guerre, dans La Condition ouvrière, que Corinne Grenouillet place en exergue de son étude : « Je vous demande de bien vouloir prendre une plume et du papier, et parler un peu de votre travail. Si un soir, ou bien un dimanche, ça vous fait tout d’un coup mal de devoir toujours renfermer en vous-même ce que vous avez sur le cœur, prenez du papier et une
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