On ne mesure certes pas le poids des disparus au nombre de signes de leurs nécrologies. Mais, à l’inverse, la brièveté de certains hommages dit l’embarras que suscitent des morts glorieux auprès de vivants peu reluisants. Ainsi du très lapidaire communiqué de l’Elysée après l’annonce du décès de Raymond Aubrac (1914-2012), figure héroïque de la Résistance et dernier des Commissaires de la République de la Libération à nous quitter : seulement 713 signes d’une langue sommaire et convenue, quand les deux autres communiqués mortuaires les plus récents de la présidence de la République en comptent deux fois plus (dans le cas du cinéaste Claude Miller), voire trois fois plus (dans celui de Richard Descoings, le directeur de Sciences-Po).
Rien de surprenant à cela : par sa vie et ses engagements, ses convictions et ses fidélités, Raymond Aubrac était tout le contraire de ce qu’incarne cette présidence de dégradation nationale (un résumé de sa vie en cliquant ici). Il l’était jusque dans son attitude, ce maintien où se mêlaient discrétion et ironie, curiosité, acuité et subtilité. En 2009, le chemin du fondateur de Libération Sud avait croisé celui de Nicolas Sarkozy, à double distance : le même lieu, mais à un autre moment et pour une autre occasion. Invité par l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, créée en réponse à l’instrumentalisation par l’élu de 2007 de la geste du maquis des Glières, Raymond Aubrac était intervenu, tout comme Stéphane Hessel, lors de son troisième rassemblement annuel.
Tous deux étaient là non seulement au titre des engagements de leurs vies entières, mais parce qu’ils étaient parmi les initiateurs de l’Appel des résistants lancé en 2004, à l’occasion du soixantième anniversaire du programme du CNR, afin de défendre les valeurs de solidarité de la Résistance – la Sécurité sociale, les retraites, le droit à la culture et à l’éducation, la liberté de la presse, etc. – face à « l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie ». Convoquant un passé plein d’à présent, c’est cette chaîne de fidélité et de cohérence qui, de rencontres en rassemblements, a conduit au manifeste Indignez-vous !, issu d’un des discours de Stéphane Hessel sur le plateau des Glières.
En 2009, Raymond Aubrac insista dans son intervention sur l’unité nécessaire, le besoin « non seulement d’un programme commun, mais aussi de projets communs » : « Voilà une des grandes lacunes de notre temps et de notre pays. Nous ne savons pas vers quoi nous allons, dans un monde de plus en plus complexe. Il nous faut ces projets, par respect pour ceux qui se sont battus pour élaborer cette promesse d’avenir. Il nous faut aussi cet optimisme que partageaient tous les résistants, sans exception, avançant vers leur but : plus de liberté, plus d’égalité, plus de fraternité
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