La grippe espagnole, par Béatrice Briand

L’Espagne est un grand pays, nul n’en doute. Un colosse aux pieds d’argile. Un pays aux traditions séculaires, mais un pays vernaculaire. Un pays qui offre un patrimoine historique d’une immense richesse, mais un pays qui glorifie encore son passé fasciste. De 1936 à 1975,  l’Espagne a vécu sous la dictature de Francisco Franco,  l’une des plus sanglantes du XXe siècle. Des centaines de milliers de personnes ne sont plus là, hélas,  pour en témoigner.

Mais c’était autrefois, n’est-ce pas,  aujourd’hui, l’Espagne est un pays démocratique.

Et pourtant … chaque 20 novembre, jour anniversaire de la mort du Généralissime, la grande famille franquiste se recueille à 50 kilomètres de Madrid, au Valle de los Caidos. Ce monument édifié en hommage aux morts de la Guerre civile sert en réalité de mausolée à Franco, inhumé dans la nef principale. Et oui, le roi Juan Carlos a fait de la veuve de Franco une duchesse, Grande d’Espagne.

Aujourd’hui, l’Espagne est différente. Certes.

Et pourtant … ainsi que nous le révèle Emmanuel Haddad en février 2012, lorsque meurt  le 15 janvier 2012 Manuel Fraga, ancien ministre franquiste, il sera enterré avec les honneurs, en présence du Roi, du Président du Gouvernement, Mariano Rajoy, et du Président du Parlement, Jesus Polada. Tous loueront ce grand homme, cet autre grand homme, qu’ils tentent de présenter comme un partisan de la démocratie, de la nouvelle démocratie, celle de la Transition. Pour Mariano Rajoy, il est « l’un des plus grands hommes politiques du siècle ». Pour Jesus Polada, « il a exercé un leadership intellectuel, moral et sentimental sur une partie importante de la population ».

Et oui, une Fondation Francisco Franco existe, chargée de faire connaître « les dimensions politiques et humaines » du dictateur.

Et oui, les héritiers de Franco bénéficient toujours de l’immense patrimoine légué par le grand homme, dont ils portent fièrement le nom. Si Franco ne possédait rien, si ce n’est sa solde, en 1936, les quarante ans qui suivirent lui furent profitables. Selon Bruno Tur, journaliste et historien, qui publie sur Slate.fr (1.12.2011) un article sur ce sujet délicat entre tous, le dictateur a gardé pour son compte tous les cadeaux qui lui furent faits dans le cadre de sa fonction de chef d’Etat : propriétés, bijoux, œuvres d’art, etc., dans une allègre mais fructueuse confusion entre personne publique et personne privée. Mariano Sanchez Soler, dans son ouvrage Los Franco (Obéron, 2003), nous apprend que sa fortune, à sa mort, se monterait à un milliard de pesetas, ce qui n’a pas empêché l’Etat espagnol de verser une pension à sa veuve jusqu’à sa mort, en 1988.

Oui, l’Espagne est un pays démocratique, membre de l’Union Européenne et par conséquent respectueuse de ses lois.

Et pourtant … la réalisatrice catalane Isabel Coixet, dans un documentaire intitulé « En écoutant le Juge Garzon », montre les persécutions auxquelles fut soumis cet homme, dont le seul tort a été de faire appliquer le droit international en Espagne, dont le seul crime a été d’enquêter sur les crimes franquistes. Et les fosses communes. Et ces cadavres, tous ces cadavres sans nom, tous ces cadavres sans visage  mais  avec une balle dans la nuque. Selon la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, dont l’Espagne est signataire, les disparus de la Guerre civile, les exécutés, les pendus, les torturés, les fusillés … ces dizaines et dizaines de milliers de morts sont des victimes d’un crime contre l’humanité. Mais en Espagne, la loi nationale a prévalu sur la loi internationale : le Juge Balthazar Garzon a été suspendu pour onze ans, sur décision unanime du Conseil général du pouvoir judiciaire. Pour avoir outrepassé ses compétences. Pour prévarication.

via blogs.mediapart.fr

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