Janet Frame, face à la raison folle psychiatrique | Mediapart

Première
hospitalisation : « Je remarquai
que le comportement de ma famille à mon égard s'était modifié de façon subtile
depuis mon séjour à Seacliff où vivaient les fous. ( …) Je m'aperçus que tout
le monde était satisfait lorsque je traitais l'affaire comme une plaisanterie.
(…) Je ne leur dis pas que j'avais jeté un coup d'œil furtif par la clôture
d'un bâtiment (..) là il y avait des hommes bizarres en chemise et pantalons
rayés, certains ne portaient pas de pantalon du tout…(… ) des enfants bizarres
couchés dans de petits lits, et qui produisaient des bruits bizarres, leurs
visages dégoulinaient de pleurs et de morve… »

Destruction de l'hopital de sSeacliff
Destruction de l'hopital de sSeacliff© DR

1945 : John Forrest, le
prof de psycho, prononce les deux
phrases qui pendant huit ans seront son kit de survie : « Vous souffrez de solitude au plus profond de
votre âme. »
Et :
« Quand je pense à vous je pense à Van Gogh, à Hugo Wolf. »

Car on a inscrit quelque
chose sur son dossier, sans que jamais elle se soit entretenue avec
quiconque, « nature de la maladie,
schizophrénie ».
Elle potasse alors ce qui s'écrit sur le sujet, cette
« démence précoce », conclut qu'elle se perdait « volontiers dans le monde de l'imagination, mais je savais aussi
que j'étais totalement présente au monde “réel” et que l'ombre
menaçante qui pesait sur moi n'existait que sur le papier du certificat
médical ».

Son attitude, face au
diagnostic qu'elle conteste, est cependant ambiguë : « Si j'appartenais officiellement au monde de
la folie (…) eh bien je m'en servirais pour survivre, j'y excellerais. »
« Je m'étais moi-même prise au piège, qu'on se souvienne qu'un piège est
aussi un refuge. »
Pour cette effrayée de la vie, une « place dès lors était retenue à ce terrible
festin ».

Ses dents, à 20 ans, sont
dans un état lamentable. Elle n'ose plus sourire, n'a pas d'argent (car pendant
tout ce temps, et ensuite aussi, Janet Frame sera souvent serveuse et servante)
et c'est une psy, chic et avenante, qui va l'envoyer à Sunnyside, pour les
dents et le reste : elle s'y réveillera édentée et internée.

Car – en ces temps reculés…– on
espère contenir la folie, l'éloigner, la soigner avec énergie, et sans
un mot : les électrochocs font des miracles, dit-on.

Janet Frame, alors, a écrit
un recueil de nouvelles, publié, The Lagoon ; elle va l'« oublier ».
Elle appartient au non-monde et lorsque,
couverte d'escarres, elle reçoit sa sœur avec des exemplaires de son livre, ce n'est qu'un
épisode fugitif dans le tunnel où elle vit. Ecrit-elle à propos de « l'odeur de beurre de cacahuètes des ajoncs »,
on censure la lettre. C'est une citation de Virginia Woolf (givrée, elle
aussi)… Elle ne s'appartient plus. « Je n'étais même plus
un “je” lézardé, je devins “elle”, une malade parmi
d'autres.»

S'entête-t-elle, « je
suis écrivain
 », qu'on appose : « Folie des grandeurs ». Le
personnel, débordé, épuisé, nettoyant et sanctionnant, transportant et
contenant les crises, ne lui dit rien. Des années plus tard, elle saura qu'on
lui a interdit de parler à l'« intellectuelle », et ne
s'étendra jamais sur les brimades spécifiques. Car c'est une constante, y compris
dans Visages noyés, qui relate – sous forme romancée et acceptable, selon ses
propres termes – son long

via www.mediapart.fr

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