On t'imagine en drôle de prof de lettres-philo avec un physique de Socrate, des gueulades à la Diogène. Mais c'est une erreur puisque tu n'étais pas encore l'artiste au nez rouge à la vie écorchée. Tu enseignais au collège Sainte-Barbe. Ça ne s’invente pas. Tu as été prof jusqu’en 1968. Ça ne s’invente pas. De la légion étrangère à la cohorte d’élèves, un drôle de cursus.
Lettres et philo et puis le néant. La barbe, l’enseignement ! Après 68, il y eut 69, l’année érotique et l’année prélude à tes années thanatiques. Malheur aux abus. À Sainte-Barbe, tu aurais peut-être vécu plus longtemps. Mais l'Éducation est ingrate.
Tout chose, j'ose me déclarer proche de tes Lettres mais ce n’est que par le nom : une voyelle nous sépare (et des milliers et des milliers de feuilles de papier à cigarettes). Plus sérieusement, c'est ton goût des mots qui t’a rendu proche de moi. Ta frénésie à lire et à écrire (nulla dies sine linea) était telle que tu troquas la ligne de vie de ta main pour des lignes de livres sur ton visage. Parcheminé, le visage, comme il se doit.
Tous tes livres sont chez moi. Tous tes disques aussi. Ta voix sonne encore familière. Déjà 14 ans que ce Léo-là s’est barré. Pas en juillet comme l'autre, lion à la crinière blanche, mais en août. De quoi rendre juilletriste et prompt au burn-août.
Comme l’a écrit Nougaro, il y avait du « grand brûlé » en toi. Quelle chance pour toi, claudiquant de la vie (lonesome piéton) béni par Claude. La classe ! La vraie. L'Éducation est ingrate. L’agrégé des Lettres que tu étais se faisait un malin plaisir à se désagréger, à voler dans les plumes de son talent d’écrivain nourri par l’encre de siècles et de siècles de poésie. Tu ne te voulais qu’ébouriffé, à rebrousse-poils, Voleur de feu et froleur de mort avec ton eau de Diogène, cet alcool fort à faire parler la poudre.
Comédien, tu croisas quelques uns des metteurs en scène que je préfère. Tu débutas chez Sautet. Tu croisas le parcours de René Vautier pour Avoir vingt ans dans les Aurès ainsi que celui de François Truffaut, d'Yves Boisset et de Bertrand Tavernier. Ta rencontre avec Claude Lelouch nous donna le fameux Ch’te play plus ainsi que Tout ça…pour ça !
Tu jouas même dans La Balance, mon signe astrologique.
Tu passas une vie d’artiste moins préoccupé par le box office et ce qui rentre à la banque que par la nécessité d’être saltimbanque même au prix des sauts les plus périlleux.
Chanteur, tu n’avais pas les dents longues, rayeuses de parquet. The Voice, t’aurais peut-être fait marrer, toi le membre de Lascars Académie. Ta devise à toi n'avait rien de leur Carpette Diem. Pour tes disques, tu écrivis des textes corrosifs et potaches et tu fis de merveilleuses reprises de Ferré en accordant tes dons à l’accordéon de Philippe Servain.
J’ai eu la chance de te voir en concert. La salle était bourrée et toi, un peu. Tu t'étais fait apostropher par la salle parce que tu parlais trop entre les chansons. Le rappel du spectacle avait un côté 'un dernier pour la route'.
Tu avais presque autant de poches sous les yeux que de pochettes de disques. Une petite discographie. Non, tu n’avais pas les dents de l’arriviste. La preuve, tu fus récompensé deux fois du prix Charles Cros. Ce qui se fait de mieux en matière de chanson française.
Ta version du Saturne de Brassens résonne très souvent à mes oreilles. Comme Reggiani, tu avais ce don de l’interprète.Comme pour tous les grands brûlés, la chandelle se meurt, la chandelle est morte. Ta vie reposait sur un maquis permanent fruit de la corse majeure entre ta vie et l’Art. Ton "en faire trop" était pavé de bonnes intentions.
Et puis un jour le funambule tombe. Tu laissas la Mort, pâle, toquer. T’as beau y être enterré, tu n’as vraiment pas grand chose d’un Père La Chaise.
Frères humains
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