Il est l’auteur de 46 ouvrages – dont la célébrissime série policière du détective Wallander – vendus à plus de 40 millions d’exemplaires. Depuis trente ans, l’écrivain suédois Henning Mankell partage sa vie entre son pays et le Mozambique, où il est directeur artistique d’un théâtre, ses livres et un engagement politique marqué à gauche. Agé de 66 ans, il a découvert, il y a un an, qu’il souffrait d’un cancer du poumon incurable. Pendant les longs mois de traitement qui ont suivi, il a achevé son dernier essai, Kvicksand («sables mouvants» en suédois), sorti en Suède en septembre et dont la parution française est prévue pour octobre prochain aux Editions du Seuil. Pour Libération, il s’interroge sur le sens de la vie et notre place, infiniment petite, dans l’histoire, sur son engagement politique et le rôle de la culture.
Vous appreniez, il y a tout juste un an, que vous étiez atteint d’un cancer…
Je me suis réveillé un jour avec une douleur au cou. Le médecin pensait que c’était une hernie discale, mais il voulait faire une radio. C’était le 8 janvier. En moins d’une heure, l’éventuelle hernie s’est transformée en cancer. J’avais des métastases dans le cou, précisément sur la vertèbre qui rompt chez le pendu. La tumeur principale se trouvait dans mon poumon gauche. Pour tous ceux qui apprennent qu’ils ont un cancer, c’est une catastrophe. Vous réalisez immédiatement que les conditions de votre vie ont changé. Rien n’est plus pareil. Je me suis retrouvé sur des sables mouvants, happé vers le fond. Je ne dormais plus. Au bout d’un mois, j’ai décidé que ce n’était pas une condamnation à mort, qu’il fallait que je m’adapte à cette nouvelle normalité. Désormais, plusieurs jours peuvent passer sans que j’y pense. Parfois, un souffle froid me caresse la nuque. Mais on n’a pas besoin d’être atteint d’un cancer pour penser au sens de la vie. En ce moment, je vais bien.
La mort vous fait-elle peur ?
Aujourd’hui, il n’y a quasiment aucune douleur que les médecins ne puissent soulager. Et si on arrive à un stade où la maladie est avancée et la douleur insupportable, on peut toujours demander à être endormi, jusqu’à ce qu’on s’éteigne doucement. Ce qui m’inquiète parfois, c’est de rester mort aussi longtemps. Cela me semble assez pénible. Ce qui est idiot, évidemment, puisqu’avec la mort, le temps et l’espace cessent d’exister. On n’est plus conscient de rien. Mais parfois j’y pense : comment supporter d’être mort pendant un million d’années…
Vous n’êtes pas croyant ?
Non. Je respecte ceux qui le sont, et j’espère qu’ils me respectent. Ce qui est fantastique avec la vie, c’est qu’elle ne se produit qu’une fois. On ne peut pas dire stop, revenir en arrière et recommencer. Chaque vie est unique, originale. Croire en une renaissance serait la dévaluer. Nous passons, je pense, d’une obscurité à l’autre. Et cela ne me pose pas problème.
Dans votre dernier livre, Kvicksand, vous réfléchissez au temps qui passe, à ce que nous laissons derrière nous. Votre héritage littéraire vous préoccupe-t-il ?
Le sort des êtres humains est de sombrer dans l’oubli. Nous sommes 110 milliards à avoir vécu jusqu’ici. La plupart sont morts. De combien se souvient-on ? De qui se rappellera-t-on dans cinq cents ans ? On peut construire des pierres tombales monumentales, cela ne change rien. Les livres, eux, continuent de vivre tant qu’ils sont lus. Je pense que certains des miens survivront pendant quelques générations. Mais pas plus. Il faut vivre au présent. J’en ai vendu 40 millions, de quoi puis-je me plaindre ?
Quel impact peut avoir un livre ou une pièce de théâtre sur l’état du monde ?
Très peu de livres ou d’artistes ont eu une influence politique immédiate. Mais, sans art et sans culture, rien ne change. Dans un pays comme le Mozambique, pendant la guerre d’indépendance
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