Le 18 octobre 1980, à Marseille, Lahouari Ben Mohamed, 17 ans, était tué par un CRS, lors d’un banal contrôle. Son jeune frère, Hassan, devenu policier, publie un livre-enquête sur ce drame marquant. Rencontre.«Il actionne la culasse de son arme. Il se penche. Il place le canon de sa mitraillette face à moi, comme on pointe une personne du doigt. Je vois le bout de son arme entre la tête de Chérif et la porte du passager avant. (…) Ça ne dure qu’un court instant, mais là je comprends… Il va me tirer dessus. Y a plus aucun doute, je l’ai lu dans son regard. Ses yeux débordent de haine. Pourquoi ? J’ai rien fait. Je retiens mon souffle… » Ce pourrait être un roman. Mais les dernières secondes de la vie de Lahouari Ben Mohamed, 17 ans, ne sont pas une fiction. C’est ainsi que ce jeune, d’origine marocaine, a été tué par un CRS, lors d’un contrôle de routine, le 18 octobre 1980, veille de l’Aïd, dans le quartier de la Busserine, à Marseille. C’est exactement de là que partira, trois ans plus tard, la Marche pour l’égalité et contre le racisme.
Sous la plume de son plus jeune frère, Hassan Ben Mohamed, âgé à l’époque de 4 ans, l’histoire refait surface aujourd’hui. Dans son livre la Gâchette facile (1), publié le 8 octobre, il a reconstitué, pendant cinq ans, chaque morceau d’un puzzle éclaté, dont il a pris connaissance tardivement. « J’ai été tenu à l’écart de la mort de mon frère par ma famille, qui a préféré me protéger. Quand je demandais où était Lahouari, on me répondait qu’il était parti jouer au foot au Maroc. Le seul souvenir que j’ai de mon frère, c’est la photo qui est parue dans les journaux. Pendant des années, personne n’a brisé le tabou pour éviter de souffrir », explique Hassan, d’une voix posée, à peine audible.
Il grandit heureux dans la cité des Flamants à Marseille, avec ses parents et deux de ses frères. Pourtant, une douleur non identifiée persiste. Le chagrin d’un frère mort violemment réapparaît la nuit, sans prévenir. « Pour moi, la police, c’était des assassins », lâche-t-il sans détour. Il s’oriente dans la mécanique, avant de tout laisser tomber pour devenir chauffeur poids lourds de matières dangereuses. Son père, qui a trimé dans le bâtiment depuis son arrivée d’Algérie en 1965, n’approuve pas. « Il insistait pour que je fasse mon service militaire. Après sa mort, en 1998, j’y suis allé. Avec le recul, c’était un signal très fort. Mon père me faisait savoir qu’il n’était pas en conflit avec l’institution, malgré ce qui était arrivé à Lahouari. »
Ironie du sort, à la fin du service militaire, sa tutrice l’encourage à rentrer dans la police. Il hésite. « Pour moi, la police, ça voulait dire raciste. Après, j’ai pensé que ma présence dans une patrouille pourrait peut-être s’avérer bénéfique. » Mais, pour franchir le pas, il lui faut l’aval de sa mère. La première fois, elle lui répond : « Tout mais pas ça. » Il abandonne l’idée. Trop douloureux. Puis ses frères interviennent. Sa mère finit par accepter, à une condition : pas CRS. Il passe les tests et obtient un emploi jeune à l’hôtel de police de Marseille.
« Mon frère a été tué pour rien »
via www.humanite.fr