Guy Debord, pensée classée, l’Action Littéraire m’aime – Libération

Nota bene : tout a commencé par un arrêté paru au Journal officiel en date du 29 janvier 2009, qui a classé les archives de Guy Debord (1931-1994) «trésor national». La manœuvre d’Etat visait à éviter la fuite du beau lot vers l’université américaine Yale, qui le guignait. La Bibliothèque nationale de France (BNF) a acquis le fonds, via le mécénat, de la veuve du situationniste, Alice Debord. Le paradoxe reste entier : un ennemi de la société, des distinctions et des promotions, bien au chaud dans une institution «spectaculaire». Chacun peut y aller de ses arguments, pour ou contre. Mais quatre ans après les faits, une exposition dévoile le legs debordien. On peut gloser: l’étendue du désastre ou de la découverte est là, de visu et in situ.

Slogans. C’est une première «rétrospective» de l’écrivain, poète, cinéaste, de l’inclassable figure qu’était Guy Debord, après une poignée d’expositions sur le mouvement situationniste. Dans le catalogue (1), Fanny Schulmann raconte l’inauguration ratée ou réussie, toujours selon l’angle d’attaque, de celle au centre Pompidou,en février 1989. Le soir même du vernissage, les employés de l’établissement en grève distribuaient un tract reprenant les slogans et l’imagerie situationniste pour dénoncer leurs conditions de travail. «L’événement résonne avec force pour qui comprend la tension inhérente à tout projet d’exposition au sein d’une institution patrimoniale d’un mouvement tel que l’IS [l’Internationale situationniste, ndlr]», écrit-elle. Détourneurs détournés…

Exposer Debord, c’est dépasser l’antithèse contenue dans l’association des deux mots, oui mais comment ? L’auteur de la Société du spectacle (1967) y a finalement lui-même contribué. Premier archiviste de son œuvre, il a compilé, rangé, classé pour une postérité. «Il y a une continuité dans les avant-gardes au XXe siècle dans la volonté de conserver sa propre archive, de faire sa propre histoire au sens matériel», estime le philosophe Patrick Marcolini, auteur d’une histoire intellectuelle du situationnisme (2). Ainsi Debord racontait-il en octobre 1994 à son ami Ricardo Paseyro : «Nous avons fait le tri, brûlé une masse de papiers inutiles et gardé ici à la disposition de mes lecteurs tout ce qui importe.» Le 30 novembre, Guy Debord atteint de polynévrite alcoolique, se suicidait dans sa maison de Champot (Haute-Loire).

Premier challenge auquel se sont confrontés les commissaires de l’exposition : briser l’image du révolutionnaire aux cheveux hirsutes et misanthrope. «Rendre aimable quelqu’un qui n’a rien fait pour l’être», résume Emmanuel Guy. Donner de la chair, sans trop en faire, à un théoricien froid et fuyant. Eviter le fétichisme de mauvais aloi et donc exit la table de travail, celle sur laquelle fut rédigée la «S de S», la veste en tweed, les lunettes et la machine à écrire. Pour incarner l’homme, un prologue montre le contexte désœuvré de sa jeunesse, les lieux de déambulation parisienne de cet adepte de la psychogéographie et les images en noir et blanc d’un Saint-Germain-des-Prés du début des années 50, où sévissait alors l’Internationale lettriste et l’écho du «Ne travaillez jamais». Tout au plus, en fait d’objets personnels, y découvre-t-on ce fascinant plateau du Jeu de la guerre, matérialité de la double hélice interne de son inventeur, le stratège et le joueur (lire ci-contre). Le cœur, le centre en fusion de l’œuvre, tient dans la masse de fiches de lectures cartonnées, près de 1 400 au total, compilées depuis 1954 jusqu’à la fin de sa vie.

Fiche de lecture de Debord. PHOTO BNF DPT MANUSCRITS FOND GUY DEBORD

Réservoir. Un ensemble inéd

via www.liberation.fr

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