Depuis le début de son mandat, le président de la BCE est passé maître dans l’art du discours. Cela lui a déjà beaucoup profité. En promettant en août 2012 de faire « tout ce qu’il faudrait » pour protéger l’euro, il est parvenu à arrêter la crise des dettes souveraines, sans que cela ne coûte rien. Mario Draghi a tenté jeudi 3 avril de réitérer l’exercice. Face aux menaces de déflation qui pèsent sur la zone euro, aux multiples pressions qui le poussent à agir, il s’est acheté du temps. En promettant une possible intervention pour plus tard, il a justifié son immobilisme du moment.
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Car, pour la BCE, rien ne presse. Aucun signe ne pourrait justifier de prendre des actions fortes. Une croissance de la zone euro de 0,2 % au premier trimestre de 2014, après une hausse du PIB de 0,1 % au quatrième trimestre et de 0,3 % au troisième trimestre 2013, lui paraît être dans la ligne d’une reprise après deux années de récession. Un chômage qui « se stabilise à un haut niveau », selon les termes du président de la BCE, à plus de 12,3 % de la population active et plus de 25 % pour les jeunes – on ne parle même pas de la Grèce, de l’Espagne ou du Portugal – reste dans l’acceptable en sortie de crise.
La demande de crédits au secteur privé qui baisse de 2,2 % en février dans la zone euro ne comporte lui non plus aucun signal inquiétant. « Sur une longue période, le crédit est toujours en forte hausse », a soutenu sans sourciller Mario Draghi. Une consommation en berne dans la plupart des pays européens n’est pas plus considérée comme alarmante. Et les prix qui baissent, qui baissent, ne constituent pas non plus à ce stade un danger.
En mars, les prix à la consommation ont augmenté de 0,5 % ( en tendance annualisée) dans la zone euro, contre 2,7 % en janvier 2013. Depuis septembre 2013, l’inflation diminue en moyenne de 0,1 % chaque mois, en dépit des hausses des prix des services et de la TVA. Dans certains pays, c’est même l’effondrement : 6,5 % en Grèce, 5,6 % en Italie, 4,7 % en Espagne, 4 % au Portugal, 3 % en Slovénie, 2 % aux Pays-Bas depuis septembre, selon les calculs annualisés à partir des statistiques d’Eurostat. « La déflation s’installe dans la zone euro », mettent en garde de nombreux économistes.
Tous soulignent combien la déflation est bien pire que l’inflation. Le phénomène n’entraîne pas seulement le report d’achats ou d’investissements, en attendant des prix plus bas encore, comme certains le décrivent souvent. Ce n’est pas un mouvement temporel d’ajustement, comme le veut la théorie classique. C’est une spirale sans fin, comme l’a mis en lumière Keynes dans sa Théorie générale de l’intérêt de l’emploi de la monnaie. La chute des prix entraîne une baisse des salaires, un chômage qui n’arrive pas à se stabiliser, car de nouvelles chutes de consommation génèrent de nouvelles baisses de prix et la réduction des capacités, d'où une destruction massive de l’appareil productif et de l’économie. Dans le même temps, le poids des dettes s’alourdit, provoquant faillites d’entreprises, surendettement des ménages, pauvreté, tandis que les inégalités ne cessent de s’accroître.
La référence immédiate qui vient à l’esprit est celle de la grande dépression des années 1930. Mais les économistes sont aujourd’hui plutôt tentés de comparer la période actuelle à un autre moment : la fin du XIXe
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