Elle écrit : «Le Stieg de "l’industrie Millénium" ne m’intéresse pas. Celui qui me plaît, c’est mon compagnon de vie et mon allié dans tout. Celui que j’ai aimé profondément et avec lequel j’ai cheminé pendant trente-deux ans. L’homme tendre, enthousiaste, drôle, engagé, généreux… Le journaliste, le féministe, le militant, l’amour de ma vie.» Ce Stieg-là, elle l’a rencontré à Umeå en 1972, dans le comté de Västerbotten. C’était lors d’une réunion de soutien au Front national de libération du Vietnam. Eva venait de quitter le lycée. Stieg avait à peine 18 ans. Il militait contre la guerre depuis plus d’un an.
Ils avaient grandi à une centaine de kilomètres l’un de l’autre, dans le nord de la Suède. Le pays des évangélistes, une terre puritaine où l’Ancien Testament a encore prise sur le quotidien. Une enfance pour tous les deux, marquée par l’absence des parents. Pour Eva, c’est la mère qui part. Elle n’a que 7 ans. Son père, journaliste, obtient la garde des trois enfants. Sans doute, écrit-elle, parce qu’il était membre du Parti libéral et connaissait des gens influents. Elle ne reverra sa mère que six fois au cours des trente années qui suivent. Les enfants grandissent dans la ferme des grands-parents paternels. Stieg Larsson est, lui, confié à ses grands-parents maternels à la naissance. Son père et sa mère, très jeunes, partent vivre dans le sud de la Suède. Ils reviendront le chercher à la mort du grand-père. Il a 9 ans, un frère de trois ans son cadet, qu’il ne connaît pas. A 17 ans, il quitte le foyer familial pour s’installer dans un studio, au sous-sol de l’immeuble de ses parents. «Ils n’ont jamais vraiment formé une famille. Ce n’était la faute de personne. C’était juste comme ça.»
Eva et Stieg s’installent à Stockholm en 1977, les contacts avec la famille Larsson sont alors de plus en plus sporadiques. Elle prend des cours d’architecture, à l’Institut royal de technologie. Lui travaille à la poste, puis rejoint la rédaction de l’agence de presse TT. Quand ils reviennent à Umeå, pour les fêtes, ils ne voient pas les Larsson. Le frère, Joakim, est un étranger. «Je ne sais pas quand il s’est marié, quand ses enfants sont nés ou quand ils ont été baptisés. Il n’est venu chez nous que deux fois. La seconde fois, c’était après la mort de Stieg.» Le 9 novembre 2004, il n’appelle pas Eva. Le jour de l’enterrement, il s’étonne qu’elle n’ait pas laissé la maison d’édition payer la cérémonie. Il lui réclame des souvenirs hérités des grands-parents. Mais quand il répète qu’il n’a aucune prétention sur l’héritage, elle le croit.
Pendant plus de trente ans, Eva Gabrielsson a vécu dans l’ombre de son compagnon. Par nécessité. Fer de lance de la lutte contre les néonazis en Suède à partir des années 80, il est une cible. Coups de téléphone anonymes, lettres de menaces… Le 12 octobre 1999, le syndicaliste Björn Söderberg est assassiné de plusieurs balles dans la tête devant son domicile. Le couple apprend que les photos de leurs passeports ont été retirées des registres officiels en même temps que celle de la victime. Ils ne reviendront chez eux que lorsque tous les suspects ont été arrêtés. «A mes collègues, je disais juste que je vivais avec un journaliste. Quand les premières menaces sont apparues, j’ai dû tout raconter à mes chefs.» Son anonymat, pensent-ils, est la seule façon de les protéger tous les deux. L’isolement lui pèse.
Au début des années 90, la Suède traverse une grave crise économique. Eva perd son emploi d’architecte dans une grande entreprise de construction. A deux reprises, elle quitte Stieg. Chaque fois, elle revient après quelques semaines. Idéaliste et intransigeante, elle n’a rien d’une victime. Si l’engagement de son compagnon l’inspire, c’est elle qui, la première, a rejoint les rangs des trotskistes à la fin des années 90. Elle aussi qui quitte le mouvement la première.
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