Entretien d’Eric Michel avec les sociologues Pinçon et Charlot autour du Président des riches (Actualité de l’histoire, n°3, déc 2011)

Éric
MICHEL, pour ACTUALITÉ de L’HISTOIRE : Pensez-vous que le paradigme
politique ait radicalement changé en 2007, et qu’il n’est plus d’espoir de
retour à la notion d’État telle qu’elle existait avant l’élection de Sarkozy ?
Autrement dit, chefs d’États et gouvernements sont-ils condamnés à traiter en
sous-main avec les potentats de la finance, pour ne pas dire qu’ils en sont les
sous-traitants ?

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : Le président Sarkozy
est, plus que tout autre avant lui, le chargé de pouvoir de la finance. En cela
l’État a été mis au service des marchés. Mais ce sont les hommes politiques, de
droite comme de gauche, qui, en dérégulant les marchés financiers dans les
années 1980, leur ont donné ce pouvoir sur les États.

Les spéculateurs
jouent désormais sur les dettes des pays européens et engrangent les profits
tirés des produits dérivés. Ces dettes dépassent les produits intérieurs bruts
ou en approchent. En mai 2011 celle de la Grèce atteint 142,8 % de son PIB,
celle de l’Italie est de 119 %, de 96,8 % pour la Belgique, 96,2 % pour
l’Irlande, 93 % au Portugal et 84,5 % pour la France. Dans notre pays cette
dette a été largement abondée par les cadeaux faits aux plus fortunés par
l’intermédiaire de la loi TEPA (loi sur le Travail, l’Emploi et le Pouvoir d’Achat,
votée durant l’été 2007). À cette date, la dette publique était de 1 218
milliards d’euros, 64,2 % du PIB. Mais elle a atteint 1 646 milliards et 84,5 %
du PIB en mars 2011. Les assurances des emprunts contractés par ces États pour
tenter de rétablir leurs comptes se présentent sous la forme de produits
financiers, d’autant plus profitables que la situation est plus grave : ainsi,
les CDS (credit default swap), titres d’assurance qui couvrent un risque de
crédit, rapportent dans le cas de la Grèce d’autant plus que les primes à
verser sont élevées puisque le risque est plus grand que pour d’autres États.
Cela explique que la Grèce ne trouve des prêts qu’à des taux exorbitants, ce
qui entraîne des coupes drastiques dans le budget de l’État.

Cela conforte la
domination de la finance sur la politique. Les droits financiers ont gagné sur
les droits sociaux. Au point que dans la construction de l’Europe libérale « la
financiarisation de la dette publique a été inscrite dans les traités : depuis
Maastricht [1992] les banques centrales ont interdiction de financer
directement les États, qui doivent trouver prêteurs sur les marchés financiers
[…]. Il s’agit de soumettre les États, supposés par nature trop dépensiers, à
la discipline de marchés financiers supposés par nature efficients et
omniscients », nous rappellent Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis dans un
rapport sur la situation des finances publiques « Évolution de la dette sur les
25 dernières années » (disponible sur www.insee.fr).
Les « marchés » ce sont des êtres humains qui ont fait de la spéculation
financière et de l’enrichissement à tout prix le sens de leur vie.

Mais les mouvements
de contestation de cette logique mortifère s’amplifient dans le monde. La main
invisible s’est déconsidérée en remplissant toujours les mêmes poches. Les États
doivent reprendre le nécessaire contrôle, sous la surveillance de peuples
rendus vigilants par les désastres provoqués par la dérive ultra-libérale.

 

A.H. :
Vous écrivez que « la lutte de classes est renvoyée aux poubelles de
l’histoire », alors que les puissants y voient un concept agi

via blogs.mediapart.fr

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