Enfants volés : la dictature argentine finalement condamnée – Libération

Cinquante ans. La sentence tombe, coupante, définitive, historique. Jorge Rafael Videla, président de la junte militaire au pouvoir durant les années sombres de la dictature argentine, et dix de ses sbires ont été reconnus coupables de l’appropriation systématique de bébés. Seules quelques condamnations isolées avaient jusqu’à présent été prononcées. Seize ans après les premiers dossiers constitués et seize mois après l’ouverture du procès, le tribunal de Comodoro Py a reconnu, jeudi soir, l’existence d’un plan implacable qui a arraché près de 500 nouveau-nés à leurs familles, entre 1977 et 1983.

«Tête de rien». Nés en captivité de mères jugées subversives, ces enfants avaient été donnés en adoption à des proches de la junte pour y être élevés sous de fausses identités. A l’extérieur du tribunal, encore un peu hébétée, Laura Catalina de Sanctis Ovando ne semble pas voir les scènes de liesse autour d’elle et reste à l’écart des embrassades. Il y a trente-cinq ans, elle a été enlevée aux bras de sa mère, à l’hôpital militaire de Campo de Mayo, pour être élevée par un major de l’armée et sa femme. Son histoire est l’une des 35 qui ont été abordées durant ce long procès. «Je me souviens que, petite, je me regardais dans la glace et me répétais : "Tête de rien, tête de rien." Je ne ressemblais pas à mes supposés parents, et puis ma mère n’avait aucune photo d’elle enceinte de moi, j’ai toujours senti que quelque chose n’allait pas, mais c’était trop effrayant de me poser ce genre de questions.» Tellement effrayant qu’elle tente de s’enfuir au Paraguay lorsque la justice la contacte en 2007 pour des analyses ADN à la suite d’un recoupement de témoignages fait par les Grands-Mères de la place de Mai, cette organisation qui lutte pour retrouver leurs petits-enfants perdus.

Depuis le retour de la démocratie et son besoin de pacifier un pays blessé, l’Argentine a changé. Surtout avec l’arrivée au pouvoir de Néstor Kirchner, qui a fait abroger en 2003 les lois d’impunité qui protégeaient les criminels de la dictature, et a rouvert une histoire que beaucoup essayaient d’oublier. Les grands-mères se sont alors organisées, soutenues par le gouvernement, ont mis en place un fichier ADN, collecté les témoignages. Les dossiers s’empilent, les procès commencent. Tout va plus vite. Trop vite pour Laura Catalina, qui fuit sa propre histoire au volant d’une camionnette où elle a empilé ses meubles et ses chats. «C’était un peu pour protéger ceux qui m’ont élevée, un peu par peur d’être face à cette vérité qui me paralysait.»

Mais la police la rattrape et confisque ses vêtements pour en prélever l’ADN, comme le prévoit la loi argentine. «Ça a été un soulagement, le processus était en marche et ne dépendait plus de moi. Mais quand les résultats sont arrivés, j’ai d’abord refusé d’y croire. Même si je le savais fissuré, là, tout mon monde s’effondrait carrément. Ça a été très dur. J’ai mis un an avant de contacter les Grands-Mères et remonter le fil.»

Elle découvre sur des photos le visage de sa mère, étudiante en psychologie de 21 ans, ainsi qu’une carte que celle-ci avait réussi à faire parvenir à sa famille quelques jours après la naissance, et que Laura Catalina conserve soigneusement dans une pochette plastique. On y lit : «Prenez bien soin de ma petite fille, j’imagine qu’elle est avec vous. Souvenez-vous de moi et aimez-moi en elle.»

Arrogance. En fouillant la maison où elle a grandi, elle

via www.liberation.fr

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