Avignon 2012. Jérôme Bel : « Voir en quoi l’incapacité peut être productive » | Mediapart

Spécialiste de la déconstruction des codes théâtraux, Jérôme Bel vient de franchir une nouvelle étape. Il présente au festival d'Avignon, à partir de lundi, un spectacle risqué, où les interprètes souffrent d'un handicap mental. Son Disabled Theatre confronte le public à l'altérité, de manière frontale, et particulièrement inconfortable. A tout moment, la performance peut emprunter des chemins inconnus – y compris pour le metteur en scène.  

Sur un plateau dépouillé, comme souvent chez Jérôme Bel, une dizaine de membres de la compagnie suisse Theater HORA se présente au public, à tour de rôle. Le premier quart d'heure – les allers-retours silencieux, des coulisses aux devants de la scène, de chacun des interprètes, comme autant de rencontres en puissance, qui se concrétiseront, ou pas – est époustouflant. Plus tard, ils se raconteront (un peu), danseront (beaucoup). Certains spectateurs n'y verront qu'un exercice de voyeurisme déplacé. Mais le dispositif finit par émouvoir, en particulier lorsque l'on reconnaît, aux détours d'un geste ou d'une réaction, nos propres manières d'être.

Dans un entretien à Mediapart, réalisé en marge du Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles en mai 2012, Jérôme Bel revient sur la fabrication de cette pièce difficile, assume le voyeurisme inhérent au projet, et défend coûte que coûte l'esprit d'un travail résolument politique : « Il faut leur donner de la visibilité. »

Vous connaissiez le travail de cette troupe auparavant ?
Non. J'avais été contacté par le dramaturge du Theater HORA, qui m'avait demandé de travailler pour eux. J'ai tout de suite dit non. Ce n'était pas pour moi, de travailler avec des handicapés mentaux. Je n'y connaissais rien, je ne m'étais jamais posé la moindre question. Finalement, par curiosité, j'ai tout de même demandé des DVD de précédents spectacles. Et je dois dire que je ne me suis pas encore remis de ce qu'il s'est passé en les visionnant. J'ai probablement fait cette pièce pour comprendre l'émotion que j'ai ressentie, quand je les ai vus la première fois.

Pour comprendre une émotion ?
Oui. En général, quand je ressens une émotion, j'essaie de comprendre d'où elle vient. Cette fois, je n'y arrivais pas. Je les ai rencontrés trois heures, en mai 2011, à l'occasion d'un passage en Suisse. Puis j'ai organisé un workshop de cinq jours, en août. Puis je me suis dit : j'ai envie de faire cette pièce. Je ne l'ai faite que parce qu'ils sont des acteurs : c'est leur métier. S'ils étaient seulement handicapés, je ne travaillerais pas avec eux. Je ne suis pas un thérapeute. Je ne fais pas de l'art thérapie. Ce n'est pas un travail social, mais un travail artistique.

Le handicap, ou l'incapacité de faire telle ou telle chose, ne sont pas non plus des sujets totalement nouveaux pour vous.
J'ai toujours travaillé sur la faiblesse. J'ai appelé ce spectacle Disabled Theatre, mais cela pourrait être le titre de pratiquement toutes mes pièces. Un théâtre sans capacités, qui n'utilise pas les forces du théâtre, mais au contraire ses faiblesses. C'est là où je me suis reconnu en eux. Je pense que je suis tout aussi incapable qu'eux de faire du théâtre. Il y a une identification à leur état d'acteur.

Le rapport avec la faiblesse, l'altérité, le handicap, est d'ailleurs l'une des choses les plus impensées de notre société. En France en tout cas, c'est totalement évacué. L'enjeu, maintenant, c'est de

via www.mediapart.fr

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