En 2015, le travail tue encore – Page 2 | Mediapart

Inscrire le risque industriel en crime social et environnemental dans le code pénal

La précarité mène à la question du genre et des inégalités hommes-femmes. Vous faites un lien entre la question du genre et celle de l’aggravation de la santé, et notamment entre stéréotypes de genre et risques professionnels.

A. T.-M. La place qu’occupent les femmes dans la division sociale et sexuelle du travail n’est pas celle des hommes. Massivement, elles sont dans l’emploi précaire, temporaire et connaissent des carrières altérées, hachées. Un tas de mécanismes jouent pour que les femmes soient sur les mauvais versants du précariat. Un peu de textile, un peu de nettoyage, d’industrie… Quand on recherche les expositions, les experts disent “je ne sais pas”. Il n’y a pas d'étude sur les cancers professionnels et les expositions professionnelles cancérogènes dans le nettoyage par exemple. Il existe seulement une thèse de médecine datant des années 2000, qui montre qu’il y a quatorze cancérogènes dans les chariots des immeubles des femmes de ménage ! L’invisibilité est totale. Ces employées interviennent dans les interstices du travail organisé officiel. S’il y a un accident du travail ou une maladie professionnelle, cela disparaît dans le secteur qu’on appelle interprofessionnel. Cela ne sera jamais recensé comme un accident du travail sur le site de l’entreprise unetelle. Les femmes sont donc dans un processus d’invisibilisation renforcée. Quant au modèle de référence de la création des tableaux de maladies professionnelles et même de leur évolution, c’est le modèle du travail masculin qui prévaut.

Ce que vous soulevez est fondamental. Comment relier la question de la santé à celle de l’égalité hommes-femmes ?

A. T.-M. Cela passe par une synergie pluridisciplinaire dans la recherche. Il faut faire s’asseoir autour d’une table des disciplines qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, en lien avec les collectifs en résistance sur ces questions. Le mouvement pour l’amiante, par exemple. Je travaille depuis longtemps avec le premier collectif ouvrier de femmes sur l’amiante, Amisol, à Clermont-Ferrand. C’est dans cette optique aussi que nous avions créé l’association Henri Pézerat, du nom de la lutte menée à Jussieu et de mon ancien compagnon (qui aboutira à l’interdiction du minéral en 1996, ouvrant droit à la réparation des victimes).

Nous, chercheurs, ne sortons pas indemnes d’un travail de collaboration avec les syndicalistes, les travailleurs. Quand on a commencé ce travail-là, au début des années 1980, il y avait une grande distance entre chercheurs et syndicats. Henri ne soupçonnait pas le degré de désinformation et de mensonge dans lequel évoluaient les salariées. Il a réalisé l’ignorance délibérément construite de la part du patron et du médecin du travail. Quand une fille était malade, c’était parce qu’elle fumait, qu’elle était obèse, qu’elle avait la tuberculose. Il a donc fallu expliquer l’amiante puis compter les morts. Les travailleurs ne sont pas des données. Ce sont des hommes et des femmes qui vont mourir.

N’y a-t-il pas une responsabilité de l’État à laisser la santé d’une partie extrêmement importante des salariés, notamment dans le secteur industriel, se dégrader ?

A. T.-M. Tout à fait. C’est pour cela que nous travaillons à une inscription du risque industriel en crime social et environnemental dans le code pénal. Le procès de France Télécom sur les suicides va s’ouvrir, et comme le dit l’avocat des victimes Jean-Paul Teissonnière [qui intervient dans ce livre – ndlr], c’est un crime sans produit toxique, mais bien un crime organisationnel délibéré. Il y a une organisation du travail qui visait à la destruction psychologique des salariés pour les contraindre à démissionner. C’est monstrueux.

Le suicide au travail est une réalité dont l'exemple de France Télécom deve

via www.mediapart.fr

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