«Des géologues japonais avaient lancé l’alerte» – Libération

Pierre Henry, géophysicien au CNRS (1), conduisait une mission océanographique au Japon, peu avant le séisme du 11 mars, pour explorer la faille de la fosse de Nankai. Il répond à nos questions sur la prévisibilité du séisme et du tsunami qui ont frappé l’archipel.

La zone du nord-est du Japon a-t-elle connu des séismes et des tsunamis comparables au 11 mars ?

Dans les sources historiques, on relève quatre dates de séisme ayant provoqué un très fort tsunami dans cette zone. En 869, 1611, 1896 et 1933. La reconstitution précise des trois événements les plus anciens n’est pas facile. Il semble maintenant que leur magnitude avait été sous-estimée. La plupart des valeurs proposées n’excédaient pas 8,3 contre 8,9 pour le 11 mars. C’est une échelle logarithmique : entre 8 et 9, l’intensité est multipliée par 10. Les observations en 1896 et 1933 indiquent que les raz de marée ont pu dépasser les 20 à 30 mètres à certains endroits. Pour celui de 1896, il y a une contradiction entre l’intensité du séisme et le très fort tsunami qui a fait plusieurs milliers de morts. Pour celui de 1933, son origine se situe de l’autre côté de la faille, à l’est vers le large, il est donc un peu à part.

Qu’est-ce qui a pu faire croire que la centrale de Fukushima Daichi, construite dans les années 60, devait être protégée contre un séisme de magnitude 7 et un tsunami d’une dizaine de mètres seulement ?

La découverte de la tectonique des plaques, et donc du mécanisme à l’origine de ces séismes, ne date que de 1965. Les sismologues de l’époque ne font que commencer à relier les séismes au mouvement des plaques, pour en calculer les intensités possibles sur une autre base que la simple répétition d’événements connus. Le lien entre l’intensité d’un séisme et celle du tsunami qu’il peut engendrer était également problématique. Dans les années suivantes, les sismologues, japonais en particulier, qui ont étudié cette zone ont longtemps pensé que la subduction – le mouvement, de 9 cm par an, de la plaque Pacifique sous celle où se trouve le Japon – fonctionnait doucement entre chaque séisme. Et donc expliquait l’absence apparente de tremblements de terre géants. En outre, les séismes majeurs connus étaient situés plus au nord que celui du 11 mars, et les tsunamis restés dans les mémoires avaient surtout frappé la côte au nord de Sendai… Alors que la centrale de Fukushima est à près de 80 km au sud de cette ville.

A la suite du séisme de Kobe, en 1995, n’y a-t-il pas eu des signes montrant que la faille pouvait générer un séisme plus important ?

Le tournant date du milieu des années 90, avec l’installation d’un réseau dense de stations GPS. En quelques années, il est apparu que le système tectonique restait bloqué entre les séismes et que le Japon se chargeait comme un ressort sous la poussée de la plaque Pacifique. Plusieurs études, dont celles auxquelles j’ai participé avec Xavier Le Pichon (2) sont allées dans ce sens et auraient pu conduire à revoir le modèle sismologique. Il restait cependant quelques doutes pour savoir si cette énergie allait être finalement libérée par un séisme géant ou si des glissements prolongés après les séismes importants pouvaient en relâcher une bonne partie. Un glissement de ce type a bien été observé après le séisme de Sanriku en 1994. Ce phénomène semblait pouvoir expliquer l’écart entre la vitesse de la plaque Pacifique (les 9 cm par an) et le mouvement cumulé des séismes. Nous pouvons maintenant conclure du séisme du 11 mars que ce n’était pas vrai.

N’était-il pas possible, au début des années 2000, d’alerter contre un risque de séisme au-delà de la magnitude 8 ?

via www.liberation.fr

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