Déconstruire le mythe Thatcher, par Philippe Marlière

« Le mythe prive l’objet dont il parle de toute histoire. En lui, l’histoire s’évapore », énonçait Roland Barthes (Mythologies, Seuil, 1957, p. 239). Depuis l’annonce de son décès, Margaret Thatcher est mythifiée, y compris par ceux qui passent pour avoir été des opposants à son action politique.

Le mythe Thatcher est édifié à gros traits, mais avec une ardeur collective qui aveugle et paralyse. Cette offensive ne laisse place à aucune contestation possible. Le phénomène est plus profond que la simple réhabilitation du personnage. Margaret Thatcher est dé-historicisée. Par là même, le thatchérisme est dépolitisé.

Derrière le concert de louanges et un enterrement en grandes pompes, c’est la naturalisation d’une période charnière de la vie politique britannique que l’on entreprend. Le mythe Thatcher sert à réifier dans l’espace public onze années de gouvernement et, depuis, la gestion d’un héritage politique qu’aucun des successeurs de la Dame de fer n’a renié. Cette mort est en réalité une renaissance politique. Thatcher est morte, vive le mythe Thatcher !

Barthes l’avait bien noté : la doxa propagée par le mythe est l’image que la bourgeoisie se fait du monde et, surtout, entend imposer au monde. Les constructeurs du mythe Thatcher ont un objectif principal en tête : faire accepter au plus grand nombre que le thatchérisme fut un chaînon aussi inévitable que nécessaire dans l’histoire du pays. Déconstruisons quelques éléments principaux de cette mythologie thatchérienne.

« Margaret Thatcher sauva le pays du déclin économique » : Il n’en est rien. Les résultats économiques des années 80 sont bien en deçà de ceux des années 50 et 60 ; décennies pendant lesquelles la croissance fut plus soutenue et durable. Quand finalement l’économie commença à croitre à la fin des années 80, elle reposa sur la bulle du crédit et l’activité financière. Au moment de son départ de Downing street, l’économie était de nouveau en récession. N’oublions pas non plus que Mme Thatcher bénéficia des revenus importants issus de l’extraction du pétrole dans la mer du nord.

« Margaret Thatcher allégea le fardeau de la fiscalité pour tous » : C’est faux. Entre  1979 et 1989, le niveau de taxation (en tant que pourcentage du PIB) passa de 39% à 43%. Le premier ministre allégea les impôts des plus riches : le taux d’impôt maximal était de 83% en 1979 et de 40% quand elle quitta le pouvoir. Inversement, la TVA – impôt indirect qui frappe davantage les catégories populaires – passa de 8% à 15% dès son arrivée au pouvoir.

« Sous Margaret Thatcher, les Britanniques se sont enrichis » : Nouvelle contre-vérité. En 1979, le 1/5e le plus pauvre de la population recueillait 10% des revenus nationaux après imposition contre 7% en 1989. Pendant la même période, la part du 1/5e le plus riche passait de 37% à 43%. Les riches se sont donc enrichis et les pauvres se sont appauvris. Corolaire de cet appauvrissement la criminalité a augmenté de 79% entre 1979 et 1989.

« Margaret Thatcher a restructuré et modernisé l’économie » : Pas du tout.Encore aurait-il fallu qu’elle ait un projet industriel, ce qui n’était pas le cas. Thatcher a détruit l’industrie britannique qui ne s’en est toujours pas remise à ce jour. Entre 1980 et 1983, la capacité de production de l’industrie a baissé de 24%. Avec les privatisations et la fermeture d’entreprises (dont les puits de mine dans le nord du pays), le pays a compté plus de 3 millions de chômeurs pendant la majeure partie des années 80. Margaret Thatcher fit le pari d’une économie nationale dépendante de la City et de la finance, avec les conséquences que l’on connait aujourd’hui.

via blogs.mediapart.fr

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