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Le goulag n'existe plus, mais des millions d'humains pourtant travaillent dans des conditions qui ne sont pas très différentes. Ce qui a changé, c'est la logique judiciaire appliquée aux travailleurs et aux criminels.
Au temps du goulag, les prisonniers politiques classés dans la catégorie des « criminels » étaient relégués aux travaux forcés. Aujourd'hui des millions de travailleurs brutalement exploités sont relégués au statut de criminels.
L'équation du goulag « criminel = forçat » a été reformulée par le néolibéralisme en ces termes « travailleur = criminel caché ». Tout le drame de la migration globale est exprimé dans cette nouvelle formule : ceux qui travaillent sont des criminels en puissance. Lorsqu'ils sont accusés, c'est donc d'être coupables de tenter de survivre à n'importe quel prix.
Quinze millions de femmes et d'hommes mexicains travaillent aux Etats-Unis sans papiers et sont par conséquent en situation illégale. Un mur de béton de mille deux cents kilomètres et un mur « virtuel » de mille huit cents miradors sont en projet le long de la frontière séparant les Etats-Unis du Mexique. Des voies pour les contourner toutefois – toutes dangereuses – seront bien sûr trouvées.
Entre le capitalisme industriel qui repose sur la fabrication et les usines, et le capitalisme financier qui dépend de la libre spéculation des marchés et des « traders » de façade, la zone d'incarcération a changé. Les transactions financières spéculatives s'élèvent chaque jour à mille trois cents milliards de dollars ; cinquante fois plus que le montant total des échanges commerciaux. La prison est à présent aussi vaste que la planète. Les zones qui lui sont allouées sont variables. Et peuvent être appelées chantiers, camps de réfugiés, galeries marchandes, périphéries urbaines, ghettos, immeubles de bureaux, bidonvilles, banlieues. Ce qui est essentiel, c'est que ceux qui sont incarcérés dans ces zones sont des camarades prisonniers.
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C'est la première semaine de mai, et, sur le versant des collines et des montagnes, le long des avenues, et autour des grilles, dans l'hémisphère nord, la plupart des arbres sortent leurs feuilles. Non seulement leurs différentes nuances de vert sont toujours distinctes, mais les gens ont également l'impression que chaque feuille prise l'une après l'autre est distincte et donc qu'ils font face à des milliards – non, pas des milliards (le mot a été dégradé par dollars) -, ils font face à une multitude infinie de jeunes feuilles.
Pour les prisonniers, les petits signes visibles de la permanence de la nature ont toujours été, et sont toujours, un encouragement secret.
Aujourd'hui, le but de la plupart des murs de prison (que ce soit en béton, électronique, sous surveillance de patrouille ou interrogateurs) n'est pas de maintenir des prisonniers à l'intérieur et de les amender, mais de ne pas les intégrer, et de les exclure.
La plupart des exclus sont anonymes – de là, l'obsession identitaire de toutes les forces de sécurité. Ils sont également innombrables pour deux raisons. D'abord parce que leur nombre fluctue ; chaque famine, catastrophe naturelle et intervention militaire (on appelle ça maintenant rétablissement de l'ordre) ou diminue ou accroît leur multitude. Et ensuite, parce qu'évaluer leur effectif, c'est faire face au fait qu'ils constituent la majorité des habitants vivant à la surface de la terre – et que reconnaître ceci, c'est plonger dans l'absurdité absolue.
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Avez-vous remarqué que les petites denrées sont de plus en plus difficiles à extraire de leur emballage ? Quelque chose d'équivalent s'est produit dans la vie de ceux qui ont un emploi lucratif. Ceux qui ont un emploi légal et ne sont pas pauvres vivent dans un espace très restreint qui leur laisse de moins en moins de cho
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John Berger, Reading 1
envoyé par lannanfoundation. – Futurs lauréats du Sundance.