La réalité est un peu plus complexe. Chaque pays a une histoire institutionnelle qui lui est propre, façonnant de fait les acteurs : le rôle de l’État, la puissance syndicale, la volonté ou non des employeurs à négocier. Ainsi l’Espagne et l’Italie, longtemps réputées pour avoir des codes du travail forts, voire rigides, ont-elles vu ces textes se façonner sous les dictatures franquiste et mussolinienne. Le salarié y était placé sous la protection exclusive de la loi et de l’État, avec comme corollaires une négation du rapport de force, un syndicalisme et un droit à la contestation quasi inexistants. L’attachement au code du travail n’est donc pas du tout uniforme dans le sud de l’Europe, pourtant régulièrement mis dans le même sac.
À l’autre bout du spectre, les États-Unis ou l’Angleterre, où le contrat constitue la pierre angulaire de la relation de travail. Mais là encore, on oublie régulièrement de dire que la judiciarisation en aval y est très forte, ainsi que les possibilités de class action, recours collectif des employés contre leur employeur devant les tribunaux, une méthode jusqu’ici inaccessible aux salariés français (la future loi sur la justice du XXIe siècle pourrait changer la donne). Outre-Atlantique, le législateur tente aussi de reprendre la main. Ainsi, le gouverneur démocrate de l’État de New York a annoncé récemment qu’il allait proposer de porter le salaire minimum des employés de l’État de 8,75 à 15 dollars par heure, après une recommandation similaire pour les salariés des fast-foods, devant la faiblesse de leurs émoluments.
L’Allemagne reste indiscutablement le totem médiatique par excellence. Son faible taux de chômage et sa vitalité économique font rêver. Le modèle allemand, fondé sur un syndicalisme fort et une négociation collective dominée par les branches, a pourtant lui aussi profondément muté depuis les années 1980, notamment dans le champ de la négociation sur l’emploi. C’est, selon l’économiste Jacques Freyssinet dans une note pour l’IRES, « le pays où, malgré la traditionnelle domination des négociations de branche, les accords d’entreprise sur l’emploi ont pris la plus grande extension au point que certains spécialistes s’interrogent sur l’érosion ou la fragmentation du modèle allemand de relations professionnelles ».
La montée en puissance des accords d’entreprise a effectivement eu des conséquences tout à fait paradoxales. Ils ont permis de faire le dos rond lors de la crise de 2008, avec des concessions majeures sur les salaires et le temps de travail dans plusieurs entreprises. Mais à force de déroger, on a fait des trous, et près de la moitié des salariés allemands ne sont désormais plus couverts par une convention collective.
L’image même des syndicats s’est considérablement abîmée : « Les syndicats sont beaucoup moins fragmentés qu’en France et le taux de syndicalisation est meilleur, mais depuis vingt ans, ils ont perdu de leur influence politique », confiait Steffen Lehndorff, à la sortie de son ouvrage sur le modèle allemand, Le Triomphe des idées fausses. « Dans l’industrie de services, il devient très difficile d’aller au bout d’une convention collective. Le syndicat du secteur tertiaire, par exemple, a dû organiser de lourdes campagnes simplement pour mettre sur pied des comités d’entreprise dans certains supermarchés. »
La balkanisation des droits des salariés allemands et le nombre de travailleurs pauvres a pris une telle ampleur que le gouvernement a même décidé, en janvier dernier, d’instaurer un salaire minimum, tabou absolu outre-Rhin. « À partir de 2009-2010, les emplois à bas salaires et la pauvreté aya
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