En salles depuis mercredi, Spectres est inconfortable de bout en bout. Le film, réalisé par l'artiste belge Sven Augustijnen, et primé au FID-Marseille en 2011, emboîte le pas de Jacques Brassinne de La Buissière, un ancien diplomate belge, en poste au Congo au moment de la décolonisation, et de l'exécution de Patrice Lumumba.
Ce héros de l'indépendance, éphémère premier ministre, fut emprisonné, torturé puis abattu en janvier 1961, dans la province méridionale du Katanga. Alors que les travaux d'historiens mettent aujourd'hui en cause la responsabilité du colonisateur belge dans la mort de Lumumba, Jacques Brassinne, lui, ne cesse de recueillir des témoignages sur l'assassinat du leader africain, en Belgique comme au Congo, pour mieux s'en dédouaner.
D'une grande ambition théorique, le film, petit précis d'amnésie belge, ne cesse de travailler les liens entre le cinéma et des mémoires vives, en permanente réinvention. « Spectres n'est pas un film sur l’assassinat de Patrice Lumumba, mais sur la manière dont cet assassinat continue de hanter la Belgique, cinquante ans après les faits », explique Sven Augustijnen dans un entretien à Mediapart.
Comment avez-vous rencontré Jacques Brassinne de La Buissière ? Aviez-vous l'idée d'un film autour de l'histoire coloniale belge avant de le rencontrer ?
L'idée du film date d'avant la rencontre avec Jacques Brassinne de La Buissière. J’avais écrit un premier scénario autour des spectres de Karl Marx, de Léopold II (roi des Belges de 1865 à 1909 – ndlr) et de Patrice Lumumba. Je m'étais intéressé au fait que Marx avait habité à deux pas de chez moi, dans la rue d’Orléans à Ixelles (un quartier de Bruxelles – ndlr). C'est là qu'il écrivit son Manifeste communiste avec cette phrase d’ouverture : « Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme », qui a coïncidé avec la révolution de 1848. Et cette révolution, à son tour, a traumatisé et hanté le prince héritier Léopold.
Coïncidence de l’Histoire, ce dernier, devenu le roi Léopold II, s’appropria en 1884, soit un an après la mort de Marx, le Congo, au nom de la lutte contre le socialisme et le communisme. Il en fit sa colonie privée, quatre-vingts fois plus grande que la Belgique, riche d'innombrables matières premières et de main-d'œuvre. Et la colonisation du Congo prend fin avec Lumumba, le premier Premier ministre démocratiquement élu du Congo (et qui critiqua la colonisation belge en présence du roi Baudouin lors de la proclamation de l’indépendance du Congo le 30 juin 1960). Diabolisé par l’Occident qui voyait en lui un communiste, il allait être assassiné six mois plus tard, le 17 janvier 1961.
Dans les premières versions du scénario, Jacques Brassinne était déjà l'un des personnages principaux. Il est devenu, au fur et à mesure, le personnage principal.
Pourquoi ?
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