L’idée au principe de cet ouvrage est simple : retracer une et non pas l’histoire de l’humanité. La singularité du propos réside dans la tentative audacieuse d’inverser l’ordre symbolique qui préside à l’écriture de l’histoire. Les vaincus, les faibles, les dominés font l’histoire, ils la réalisent mais ne l’écrivent pas. La masse des peuples est trop anonyme pour l’historien qui a besoin de réduire et de rattacher le cours des événements à des personnages clefs qui servent de catalyseurs culturels et de repères chronologiques. Á cet aspect pratique s’ajoute inévitablement le problème du pouvoir que l’histoire est amenée à servir, tout comme celui du pouvoir qui se sert d’elle. Cette dialectique entre pouvoir et histoire traverse l’œuvre de Chris Harman.
2Celui-ci va plus loin encore et prend parti en s’inspirant explicitement de Karl Marx. Il déclare en effet chercher ici non pas tant à offrir le récit complet de l’histoire humaine, qu’à conter « le schéma général qui a façonné le présent ». L’histoire populaire de l’humanité qu’il nous propose est une histoire des principales dynamiques collectives dont la succession est inscrite dans le sillage des luttes qu’imposa la division de la société en classes. A contrario de l’historiographie dominante toute ceinte d’un héroïsme constructeur, Harman dépeint la chronologie des grands événements qui rythmèrent à travers les principales civilisations l’aventure humaine : mais sans aventurier, sans cet homme providentiel qui incarne les aspirations des masses populaires et qui entraîne avec lui le destin des peuples, du héros néandertalien à l’« Obamania » du nouveau millénaire.
3Il prend appui sur la thèse d’un communisme originel qui aurait permis à l’être humain de commencer son épopée terrestre dans les conditions idéales d’une organisation fondée sur le principe de réciprocité généralisée qui prévalait notamment dans toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs de la planète. Sans possession privée de la terre et sans spécialisation du travail, les premières organisations des sociétés humaines que l’on connaît, à l’échelle de bandes, de clans, comme à celle de tribus nomades ou de villages, furent dénuées de distinction de classes. Les conditions rudimentaires de ce « communisme primitif » furent très vite dépassées et laissèrent place à l’émergence de classes sociales, du fait de la capacité grandissante des êtres humains à tirer profit des ressources naturelles pour notamment éviter que leur vie soit suspendue d’une récolte à une autre, en stockant les denrées alimentaires et en en produisant plus que ce que l’immédiate nécessité exige. L’accumulation de richesses dont on est privément propriétaire permit ainsi à des relations de domination de s’établir. Celles-ci divisèrent les sociétés en classes : certaines en oppriment et en exploitent d’autres. Les classes spoliatrices sont d’autant plus minoritaires que leur pouvoir d’oppression croît, tandis qu’à l’inverse les populations des classes laborieuses sont aussi nombreuses qu’asservies à produire une richesse dont ils sont dépouillés.
4Et c’est à partir de l’émergence des divisions de classes desquels tirerait leur origine aussi bien l’oppression patriarcale contre les femmes que l’inégalité structurelle du racisme et autres avatars d’une hiérarchisation sociale et économique des appartenances, que l’ouvrage de Chris Harman va dérouler le fil de l’histoire humaine. C’est en sept parties que l’auteur choisit de subdiviser le passé de l’humanité, comme autant de périodes charnières de cette histoire des peuples qui luttent depuis l’avènement des premières formes,
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