Ils arrivent par grappes de trois ou cinq, sourire aux
lèvres. Certains sont déguisés, beaucoup portent des survêtements à capuche
noirs. Ils se rassemblent dans un coin de la Plaza Italia, au cœur de la
capitale chilienne, jusqu'à être deux ou trois milliers. Ils sont tous lycéens
ou étudiants. Un peu après onze heures du matin, en cette belle journée de
printemps austral, ils se mettent en marche le long d'une large avenue de
Santiago.Il y a peu de banderoles, mais des chants : « Elle va
tomber, elle va tomber l'éducation de Pinochet ! » ou encore « Notre éducation n'est
pas à vendre ! ». Probablement un
peu de lassitude aussi. Ce 27 octobre est un jeudi comme un autre dans les
rendez-vous hebdomadaires qu'organisent les élèves chiliens de l'enseignement
secondaire et supérieur depuis plus de six mois. Il n'y a pas de mot d'ordre
particulier aujourd'hui, pas de mobilisation exceptionnelle. Juste l'ordinaire
d'une lutte contre le gouvernement qui dure encore et encore.Le cortège s'ébranle donc calmement, suivi par des véhicules
de sécurité et des dizaines de carabineros
harnachés façon tortues ninjas. Les manifestants ont à peine parcouru trois
cents mètres que les guanacos se
mettent à cracher leurs jets d'eau à haute pression. Il n'y a eu aucune
provocation ni aucune déprédation de la part des jeunes, mais les fuerzas
especiales ont décidé ou, plus probablement
ont reçu l'ordre, de disperser la manifestation au plus vite.
Carabineros contre étudiants le 27 octobre dernier à Santiago© Thomas CantaloubeLe ballet des
canons à eau et des véhicules pulvérisant du gaz lacrymogène démarre. Ils
avancent sur les protestataires, les traquent dans les ruelles
perpendiculaires. De nouveaux chants fusent : « Nous voulons
étudier pour ne pas devenir force de sécurité ! » En une demi-heure, l'affaire est pliée.
Les jeunes s'égayent après avoir balancé sans grande conviction quelques
pierres et boules de peinture sur les véhicules blindés.Cela fait maintenant plus de six mois que cela dure. Six
mois de mobilisation étudiante et lycéenne, avec des journées où des centaines
de milliers de personnes – des étudiants mais aussi leurs parents et des
fonctionnaires – descendent battre le pavé, et d'autres où seuls quelques
milliers répondent à l'appel. Six mois de blocage gouvernemental. Six mois pour
rattraper vingt ans d'inertie et finir de défaire dix-sept ans de dictature Pinochet.Vu de loin, c'est-à-dire d'Europe, le mouvement de
protestation des étudiants chiliens a été assimilé aux « Indignés » ou autres « Occupy… ». C'est une erreur. En fait, il est bien plus proche
du « printemps arabe » :
le soulèvement d'une jeunesse lasse des compromis de ses aînés, et qui entraîne
dans son sillage une majorité de la population. Il vaut mieux, pourtant, se
garder des comparaisons. Ce qui se passe au Chili est proprement chilien, le résultat
des évolutions d'un pays qui, vingt et un ans après la fin d'une longue et sanglante
tyrannie, n'a toujours pas su inventer les institutions de la post-dictature.
Et qui, aujourd'hui, craque.Attablé autour d'un café dans un mall de la grande banlieue de Santiago qui rappelle les métropoles nord-américaines, l'économiste Andres Solimano, la cinquantaine
barbue, explique : « La dictature de Pinochet, de 1973 à
1990, a été une révolution conservatrice ultralibérale très violen
via www.mediapart.fr