Il se voit comme le nez au milieu de la figure et passe pourtant par pertes et profits dans nos mémoires: le mur de l'Atlantique. L'écrivain et cinéaste Jérôme Prieur, refusant que la France laissât ainsi béton plus longtemps, a décidé de secouer le bunker. D'où son documentaire – doublé d'un livre (Denoël) – diffusé ce jeudi 18 novembre à 22h50 sur France-2.
Ce travail révèle ou rappelle que, de 1942 à 1944, sur l'ordre de Hitler, l'organisation Todt conduisit la plus vaste opération de collaboration économique en France. Quelque 300.000 personnes travaillèrent à ce chantier, qui enrichit des centaines d'entreprises, ensuite à même de profiter de la reconstruction d'après-guerre, une fois traversées les formalités de l'épuration…
Les blockhaus ne sont pas l'œuvre d'Allemands qui se montrèrent incapables de laisser nos plages aussi propres qu'ils les trouvèrent en arrivant. Les blockhaus sont aussi des stigmates bien français, qui résorbèrent le chômage, ainsi que le claironne un documentaire de propagande datant de 1944, Français souvenez-vous, naguère exhumé par l'historien Jean-Pierre Bertin-Maghit.
Les archives d'époque sont saisissantes. Il y a cette causerie synchrone de Pierre Laval, personnage fascinant et repoussant avec sa grossière habileté de maquignon, flattant l'opinion publique en 1943. Il y a un plan de film allemand comme paradoxalement extrait du Silence de la mer de Jean-Pierre Melville, avec une sentinelle qui veille à l'extérieur d'un blockhaus, tandis qu'à l'intérieur les soldats connaissent quelque chose de plus ouaté.
Mais il y a surtout les explications de trois générations d'historiens: Robert Paxton (université Columbia, New York); Jean-Claude Hazera et Renaud de Rochebrune, coauteurs du livre Les Patrons sous l'Occupation; Olivier Wieviorka (École normale supérieure, Cachan); Claude Malon (Paris-IV); Sébastien Durand (Bordeaux-III); Peter Gaida (université de Brême); Daniel Lindenberg (Paris-VIII); Fabrice Grenard (Institut d'études politiques de Paris); Fabian Lemmes (université de la Sarre); Manuel Martin (archives municipales de Fécamp); Isabelle Raynaud (doctorante, EHESS) et Christian Bougeard (université de Brest).
Nous découvrons à quel point le mur de l'Atlantique fut à la fois lourd et immatériel, relevant du plus puissant béton mais aussi du village Potemkine. Le ciment tenait le rôle des hommes, affirme Robert Paxton, mais la propagande tenait pour sa part le rôle du ciment. La fortification était en pointillés, pleine de vides et de trous. Parfois présenté comme un requin sans dents, ce prétendu mur ressemblait surtout à des dents sans requin…
Entretien avec l'auteur.
Mediapart: Pourquoi appeler «mur» ce qui n'était peut-être que la passoire de l'Atlantique?!
via www.mediapart.fr