Avant Internet, à quoi ressemblaient les lanceurs d’alerte ? – Arrêt sur images

Un jour de septembre 1972, un type débarqua à la rédaction du Canard enchaîné et frappa à la porte du journal. Plus précisément à celle du premier étage où étaient installés les services administratifs et où oeuvraient les trois secrétaires qui tapaient les articles, répondaient aux appels téléphoniques, récupéraient les plis et, aussi, aiguillaient le visiteur. Dans une rédaction telle que celle du Canard, elles constituaient le premier filtre.

Le visiteur avait des révélations à faire. Sans doute eut-il quelques minutes pour s’expliquer, résumer ce qu’il avait à dire. Sans doute rien dans sa mine, son comportement ou son élocution n’indiqua qu’il s’agissait d’un farfelu; sans doute, même, parut-il convaincant. Bref, après l’avoir fait asseoir dans un petit bureau attenant, son interlocutrice monta au deuxième étage où travaillaient les journalistes. Il y avait dans le bureau du bas, leur dit-elle, un visiteur qui, peut-être, méritait d’être écouté. Aucun des journalistes qui, habituellement, traitait ce genre de dossiers ne voulut y aller. N’y croyaient-ils pas? Étaient-ils occupés à quelque chose de plus urgent, de plus important? Yvan Audouard, lui, s’y colla.

Au Canard, Yvan Audouard avait la charge de la chronique télé et, entre deux papiers et trois coups de fil, racontait de tonitruantes histoires marseillaises. Il avait toutes les qualités mais il était fait pour touiller les plats faisandés comme moi pour servir la messe.

matcharanda

La Une de Match le 30 Septembre 1972 est consacrée à Gabriel Aranda, informateur du Canard Enchaîné sur le "gaullisme immobilier". L'enquête de l'hebdo était parue quelques jours avant.

Pourtant, comme tous les bons conteurs, Yvan savait écouter. Et il avait du jugement. Il écouta donc le visiteur, longtemps, de plus en plus intéressé. Puis il remonta à l’étage supérieur pour rapporter qu’il était tombé sur une pépite, un type qui avait des dossiers explosifs. On ne le crut pas. Il insista. Finalement Henri Deligny descendit au premier étage. Presqu’à contrecoeur.

en lien direct avec les rédactions

La semaine suivante, Le Canard enchaîné publiait avec fracas les dossiers que venait de lui ouvrir Gabriel Aranda, conseiller technique d’Albin Chalandon, ancien ministre de l’équipement et du logement dans le gouvernement Chaban-Delmas. C’est là que le concept de «gaullisme immobilier» acquit sa définition et ses lettres patentes : mélange dynamique et nauséabond de politique, de grands travaux, de corruption et de trafics d’influence.

Le scandale fut de taille. Il touchait le personnel politique gaulliste comme des hauts fonctionnaires et des industriels du BTP. Aranda fut inculpé de vol de documents ; moins de deux ans plus tard, il bénéficia d’un non lieu. On ne sut jamais très bien ce qui l'avait motivé. Surnommé par la presse l’«Archange Gabriel», il voulait, disait-il, nettoyer les écuries mais aussi, plus précisément, en dénonçant les contrats de livraison de Mirages français à la Libye (déjà!), soutenir Israël menacé par Kadhafi. Aranda était un vitupérant rentré, capable de lancer les plus lourdes accusations d’une voix douce, presque timide, comme si, malgré lui, il était poussé à dire ce qu’il savait. Il disparut du paysage aussi vite qu’il y était apparu, s’établissant discrètement à Genève où il se fit conseiller financier sous le pseudonyme de M. Daumier. Quelque quarante ans plus tard, il fait à nouveau parler de lui, sans fracas cette fois: la justice genevoise vient de le condamner à trente mois de prison pour «contrainte sexuelle» (?) contre sa fille. Mais ceci n’a rien à voir avec cela.

via www.arretsurimages.net

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