Anselm Jappe, « La critique de la valeur » – Libération

Se demandant pourquoi il est si difficile d’imaginer la fin du capitalisme, il note : «L’idée même suscite une peur bleue. Tout le monde pense avoir trop peu d’argent, mais chacun se sent menacé dans son existence, même sur le plan psychique, si l’argent fait mine de se dévaloriser et de perdre son rôle dans la vie sociale. […] Il y a un accord général au moins sur une chose : il faut continuer à vendre, à se vendre, et à acheter. […] Il faudrait combattre le sujet automate du capital, qui habite également dans chacun de nous, et donc une partie de nos habitudes, goûts, paresses, inclinations, narcissismes, vanités, égoïsmes… Personne ne veut regarder le monstre en face.» A propos des gens inquiets de perdre leur travail, il estime, à rebours de la gauche, que leur colère «n’a rien d’émancipateur en tant que tel». Analysant l’art contemporain, il formule l’hypothèse que «l’équivalent du fétichisme dans la marchandise dans la vie psychique est le narcissisme».

Mise en garde. Né en 1962, d’origine allemande mais vivant entre l’Italie et la France, auteur des Aventures de la marchandise et d’un ouvrage remarqué sur Guy Debord, Anselm Jappe égratigne à plusieurs reprises les théoriciens les plus connus de la gauche radicale. Negri, Badiou, Zizek ou l’Insurrection qui vient en prennent chacun à leur tour pour leur grade et le chapitre consacré à la violence politique est une mise en garde sans détour à Julien Coupat et ses amis : «si la guerre civile – la vraie – éclatait, il ne serait pas difficile d’imaginer qui seraient les premiers à se trouver réveillés en pleine nuit et collés au mur sans façon, tandis qu’on viole les femmes et qu’on tire sur les enfants…» Jappe préfère pointer ses accords (et ses désaccords) avec des pensées moins extrémistes, comme l’anti-utilitarisme d’Alain Caillé, le «décroissantisme» ou, plus inattendues, les thèses de Jean-Claude Michéa sur la gauche culturelle devenue l’idiot utile du libéralisme. C’est que, sous la plume de Jappe, la théorie de la valeur marie véhémence anticapitaliste et accablement nostalgique devant la culture contemporaine. Ainsi, au détour d’une phrase, affirme-t-il qu’aujourd’hui «les seules propositions "réalistes" – dans le sens où elles pourraient effectivement infléchir le cours des choses – sont du genre : abolir tout de suite, dès demain, toute la télévision.»

via www.liberation.fr

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