La direction perçoit ses velléités organisationnelles. « Ils ne voulaient plus que je travaille comme magasinier, qui était un poste au contact des salariés, car ils ont senti que je commençais à faire du syndicalisme. Je me retrouve sur la piste à charger et décharger des camions avec un Fenwick, sans plus voir personne. » Début 1982, il devient représentant syndical CGT au comité d’entreprise. Au même moment, il participe aux réunions de l’ATMF et prend le micro à l’antenne d’une de ces radios libres, radio G, qui émettaient depuis l’ancien commissariat de Gennevilliers. Ça ne plaît pas à ses supérieurs. Il est convoqué, menacé de licenciement, mais tient bon, sauf que les années suivantes il ne connaît ni promotion ni augmentation de salaire.
Son père l’avait prévenu. « “Tu vas voir, il m’avait dit, les patrons sont tous les mêmes, dans tous les pays”. Au bout de quelques mois, j’ai compris, que ce soit au Maroc, ici ou ailleurs, il faut revendiquer, il faut militer, il ne faut pas rester les bras croisés. » Toute sa vie, il met ce précepte à exécution. Dès 1975, il prend part au blocage de Chausson, viennent ensuite les grèves des foyers Sonacotra et de l’automobile. Les OS immigrés, qui sont majoritaires dans la plupart des usines de la région parisienne, sont en première ligne. Après des décennies de soumission et d’invisibilité, ce mouvement de contestation constitue leur apparition dans l’espace public. Ils imposent leur parole, leur revendication, ils deviennent des sujets politiques. Abdallah Moubine s’en souvient comme si c’était hier. En février 1982, devant Aulnay, sur le parking, face à 3 000 personnes, il s’empare du microphone. Il se retrouve quelques semaines plus tard à bloquer Saint-Ouen, Asnières et Levallois. « J’ai couché plusieurs nuits là-bas devant l’usine », se rappelle-t-il.
En 1983, c’est le tour de Poissy. Il est présent le jour où la direction et le syndicat maison – la CSL (confédération des syndicats libres) – crient: « Les Arabes au four, les Arabes à la Seine.» Ces insultes racistes font l’effet d’une bombe. « Ils nous ont bloqué dans un atelier, le bâtiment 3 ou 5 je ne me souviens plus, il a fallu le renfort des copains pour qu’ils nous laissent sortir. C’est là qu’il y a eu cette fameuse déclaration de Pierre Mauroy disant que les grévistes étaient dirigés, manipulés par les islamistes. »
Pierre Mauroy, premier ministre, n'est pas seul : Gaston Deferre, ministre de l'intérieur, et Jean Auroux, ministre du travail, lui emboîtent le pas (lire les déclarations de l'époque sous l'onglet Prolonger). Égalité salariale, respect de la dignité, liberté syndicale, refus de la corruption et de l’arbitraire de la hiérarchie, fin des propos racistes : la liste des revendications est longue (les consulter sous l'onglet Prolonger). L’une d’entre elles passe mal auprès du gouvernement PS : les grévistes, pour la plupart musulmans, demandent une salle de prière. Y compris à la CGT, cette demande est vue de travers. « En ce temps-là, j’allais régulièrement à Montreuil (où se trouve le siège de la confédération). Le secrétaire des métallos s’appelait André Sainjon, c’était un socialiste. Il était bien habillé, je l’appelais monsieur le ministre. Lui, par exemple, ne comprenait pas cette revendication. »
Se décrivant comme « croyant non pratiquant », Abdallah Moubine rejette les accusations d’instrumentalisation. « Il n’y avait pas d’islamistes dans les ateliers, c’est faux. J’ai tout de suite compris que c’était une tactique pour diviser les salariés et pour casser le lien qui se
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