Au Mexique, le 26 septembre dernier, 43 élèves de l’École normale d’Ayotzinapa, connue pour être un foyer de contestation politique, sont enlevés et assassinés. L'ampleur du crime déclenche une vague de protestation à travers tout le pays contre la violence du crime organisé et les complicités officielles dont il bénéficie (lire : Au Mexique, un massacre d'étudiants signe l’échec du président Peña Nieto). Les familles et les proches des victimes se sont de nouveau rassemblés, jeudi 1er janvier.
Des habitants de la région d'Iguala recherchent des restes humains de parents disparus. © Jorge Dan Lopez/Reuters
Ce meurtre d’étudiants mobilisés, vraisemblablement commandité par le maire d’Iguala dans l’État du Guerrero, ravive la plaie jamais refermée du massacre de Tlatelolco et de l'impunité persistante des responsables au sein de l'appareil d'État. Le 2 octobre 1968, une manifestation étudiante fut écrasée dans le sang par les hommes en civil du bataillon Olimpia, causant la mort de 200 à 300 personnes.
L’ouvrage de référence sur cette histoire, initialement publié en 1971, vient d’être traduit en français par le Collectif des métiers de l’édition et montre comment ce passé continue de hanter le Mexique contemporain : « Tlatleco fait sombrer pour longtemps la lutte politique au niveau de la protestation impuissante, relègue au rang d’illusion le pacifisme, la légalité et la non-violence. Le 2 octobre, date funeste, démoralisante, pousse les plus convaincus à la lutte armée, aux guérillas qui seront impitoyablement réprimées, incite les conformistes à l’aveuglement volontaire, les arrivistes au cynisme désabusé et la grande majorité à la résignation prudente et au fatalisme qui assureront la perpétuation du pouvoir du PRI pour bien des décennies encore, le reste du XXe siècle au moins. »
Ce livre, puissant et sobre, s’intitule La nuit de Tlatelolco. Histoire orale d’un massacre d’État. Il a été composé par la journaliste et écrivain Elena Poniatowska avec un stylo, mais aussi des ciseaux, puisqu’il est constitué d’un collage de phrases dont la fragmentation finit par restituer, mieux qu’un récit linéaire, le monde brisé de la mobilisation politique contre le président Gustavo Díaz Ordaz et le parti révolutionnaire institutionnel (PRI) : « une succession ininterrompue de présidents de la République, les gouverneurs des 31 Etats du Mexique, le régent de la capitale, la totalité des députés et sénateurs, des autorités fédérales, régionales et municipales, choisies par l’appareil et rituellement élues avec des scores proches de 100 %. Relayant la pyramide étatique dans les régions les plus isolées, une multitude de caciques locaux apportent leur quota de votes forcés en échange d’un règne indiscuté sur leurs microterritoires. »
Comme pour un documentaire radiophonique,
via www.mediapart.fr