«Les violences atteignent aussi la métropole. Ainsi, le 17 octobre 1961, à Paris, les forces de l’ordre tuent près d’une centaine d’Algériens, lors d’une manifestation pacifique organisée par le FLN. Le 8 février 1962, la police charge, près du métro Charonne, des manifestants protestant contre les attentats de l’OAS. Le bilan est de neuf morts.» Voilà ce que les élèves français des classes de terminale peuvent trouver dans leur livre d’histoire (Nathan), sous le chapitre «L’indépendance de l’Algérie» du cours consacré à «L’enjeu de la décolonisation (1945-1962)». Clair, mais pour le moins concis. Sans doute, les enseignants en disent-ils davantage, mais à la veille du 50e anniversaire d’un massacre inouï – commis dans la soirée du 17 octobre 1961 et qui se poursuivit durant plusieurs semaines -, combien sont-ils en France, toutes générations confondues, à savoir même de quoi il s’agit ?
Cette monstrueuse «ratonnade» – l’historien Pierre Vidal-Naquet assure que l’expression est née de cet événement tragique, raton désignant Algérien dans le vocabulaire des racistes décomplexés – reste curieusement ignorée de l’opinion, quand elle n’est pas purement et simplement niée, minimisée, occultée, ou effacée par la manifestation anti-OAS du métro Charonne, quatre mois plus tard, au point d’entretenir une étrange confusion entre ces deux épisodes parisiens dramatiques de la guerre d’Algérie finissante.
Flottant parfois jusqu’au Havre
«L’archive, c’est mon trip.» Française née à Saint-Martin-d’Hères (Isère) de parents algériens, Yasmina Adi, 36 ans, a un franc-parler réjouissant. Au premier coup d’œil, il n’échappe à personne que cette jeune femme a du tempérament, en tout cas quand elle parle de son travail. Yasmina Adi est documentariste, elle est l’auteure d’un film qui sortira en salles le 19 février, dont l’affiche donne froid dans le dos, malgré son impeccable sobriété : l’image en noir et blanc d’un pont parisien dont le parapet est griffé d’une inscription en lettres capitales peinte au pinceau – «ICI ON NOIE LES ALGéRIENS», au-dessus d’une date, discrète, écrite en rouge, «17 octobre 1961».
Bande annonce du film Ici on noie les Algériens.
A chaque décennie, surtout depuis 1981, des hommes et des femmes – historiens ou non – s’évertuent à empêcher la condamnation à l’oubli de quelque 300 Algériens tués par la police française, alors sous les ordres du préfet Maurice Papon, et dont un grand nombre furent retrouvés flottant sur la Seine, parfois jusqu’au Havre, le courant du fleuve les entraînant vers la Manche. Aujourd’hui encore, ce chiffre de 300 morts ou «disparus» reste une «estimation», car étudier cette histoire-là relève depuis cinquante ans de la gageure. Une histoire évidemment peu glorieuse pour les Français, mais que les Algériens ne se sont pas non plus empressés d’éclairer. Une histoire maudite, comme on en compte depuis la nuit des temps dans tous les pays qui vivent une guerre.
En octobre 1961, la guerre d’Algérie, qualifiée «d’événements d’Algérie», a déjà 7 ans. Une guerre d’indépendance avec ses conflits intérieurs (en Algérie) et extérieurs (en métropole, car l’Algérie est encore française) et leurs lots de morts, de tortures, d’attentats et autres atrocités. De luttes entre Algériens aussi, qui fourniront aux autorités françaises l’occasion d’attribuer les exécutions «d’indigènes» aux règlements de comptes internes.
Le préfet impose le couvre-feu
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