Voyages | Voyage au bout de Paris

Ça a débuté comme ça, Paris 22 heures, avenue P… La lumière des lampadaires, embuée de brouillard et de nuit, éclaire faiblement Choka, grand brun de 25 ans en guêtres et bottes de caoutchouc, plié sur une lourde plaque en fonte. Celle-ci résiste puis coulisse, roulant un son grave et rauque contre le bitume. Le cataphile perce la terre avant de s’engouffrer dans la pierre. Il jette un dernier regard dans la rue — pas l’ombre d’un passant, glisse le long d’une échelle et referme la plaque au-dessus de lui. Silence et obscurité. On pénètre dans les catacombes, monde de secrets où les noms des férus des tréfonds, où l’emplacement des bouches sont tus. Les mains distinguent les barreaux de fer froid et humide, les yeux s’agrippent à la lueur d’une lampe. La descente paraît longue, échelon par échelon, un pied, une main. Enfin, on touche le sol boueux. Une ou deux canettes de bière se frottent à quelques mégots.

Deux pas et, déjà, un carrefour annonce le dédale. Trois couloirs immergés dans le noir se séparent. L’air est humide mais il fait bon, quinze degrés contre quatre dehors. Les murs de calcaire suintent, jaunâtres, à la lueur d’une flamme qui crève l’obscurité par endroits. «Il peut y avoir un peu d’eau», prévient le guide. Sa voix résonne et mon pied plonge dans une mare glacée. Saisie jusqu’aux genoux, j’avance à tâtons, butant contre une pierre, m’enfonçant dans un trou. L’eau, beige, paraît encore claire sur le sable. Nous sommes les premiers — et peut-être les derniers —à passer ce soir. Les remous et nos voix fracassent le silence. La lumière de nos lampes, froide, se balance à nos cous. On ne voit pas à un mètre.

Pour que les esprits mangent à leur faim

Nous continuons notre marche, sur du béton sec ou de la terre mouillée et visqueuse. «Là, c’est la poste. Pendant la Seconde Guerre mondiale, quand la sirène des bombardements retentissait, les employés se réfugiaient dessous, par ce grand escalier», explique Choka. Une série de stalles aux murs lisses et propres se découvre. A côté des box, deux lettres «WC» ont été tracées. Les portes en bois sont défoncées au milieu des tags, de signatures colorées. Dans cette nuit éternelle, les fantômes de nazis rampent sans doute encore contre des fonctionnaires pétrifiés. Les spectres soufflent dans un bruit étouffé d’éboulis. Leurs mitraillettes sourdent au loin. Le métro qui gronde, me justifie-t-on… Quelque part, de l’eau goutte et résonne. Les ténèbres s’étalent devant nous.

«On devrait rencontrer des gens, il y sûrement une soirée, on est vendredi soir», annonce le noctambule. Nos pas chuintent, on se courbe, accroupis sous un plafond de pierre de plus en plus bas, et on arrive dans une pièce meublée d’une table de fortune. Des petites bougies plates traînent ça et là. Premier apéro à la lueur de cierges blancs. On fabrique des «catalampes», un bout de chandelle dans une canette ouverte comme une fenêtre, avec deux pans d’aluminium qui reflètent la lumière, et on repart pour une heure de marche silencieuse au flambeau, jusqu’à la Salle des Cuillères. Seuls.

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via voyages.liberation.fr

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