Dès les premières phrases échangées – son intérêt pour notre itinéraire, son entrain à nous présenter son joli pavillon des Yvelines -, on comprend que l’on écoutera éperdument chaque mot que prononcera Sarah Lichtsztejn-Montard. Il y a, dans la gaieté chaleureuse de cette grand-mère de 84 ans, dans son accueil à bras ouverts, une conviction profonde qui n’est pas celle de la simple hospitalité. Depuis vingt-sept ans, Sarah Lichtsztejn-Montard témoigne. Elle raconte, deux fois par semaine, à des collégiens et lycéens, son arrestation en juillet 1942 dans la rafle du Vél d’Hiv, sa fuite, son arrestation à nouveau en mai 1944, sa déportation à Auschwitz. Ces derniers temps, alors que l’on commémore les 70 ans du Vél d’Hiv, le rythme des récits de Sarah est passé à plusieurs fois par jour. Les journalistes se succèdent. Elle dit oui à tous, même quand son diabète l’épuise. Elle répète. Elle enchaîne. Elle parle «pour faire barrage au racisme, qui entraîne la haine, la violence, l’escalade». Elle parle connaissant l’importance du passé pour l’avenir. Elle parle, «surtout pour eux», lâche-t-elle au seul moment où sa voix se brise, «ceux qui sont morts, les adultes et les enfants». Sarah les a vus mourir, gazés, fusillés, terrassés par la maladie. Elle a versé de la chaux sur leurs cadavres. Ils vivent depuis avec elle.
père caché. Sur la première photo qu’elle nous montre, Sarah est un joli bébé dodu de deux ans. C’est le dernier cliché pris à Dantzig, en Pologne, que ses parents quittent pour la France en 1930. Des années d’avant-guerre, elle se remémore une enfance «pauvre, mais très heureuse». Son premier souvenir douloureux est ce jour de juillet 1941 où son père est arrêté par les Allemands. Il s’évade deux mois plus tard du camp de Pithiviers. Et vit ensuite caché dans une chambre à Paris, sous une fausse identité.
Sarah reste seule avec sa mère. En juin 1942, elle doit coudre une étoile jaune sur ses vêtements et se souvient «des regards». Le 15 juillet 1942, dernier jour d’école, une camarade l’avertit que se prépare une «rafle générale de Juifs, hommes, femmes, enfants, vieillards…» Un commissaire de police a donné l’alerte. Mais la mère n’y croit pas. «Elle m’a dit "en France, arrêter des femmes, des enfants… Ce n’est pas possible".»
Le lendemain matin, 6 heures, des coups sur la porte. Sarah est réveillée en sursaut. Entrent deux inspecteurs de la police française. La mère de Sarah les implore de laisser sa fille. «Elle était presque à genoux, j’avais honte.» Dans la cour de l’immeuble, elles rejoignent deux autres familles. Dans la rue, c’est le chaos. «On voyait arriver des parents hagards, tenant à bout de bras des petits enfants mal réveillés, qui pleuraient. Les gens sortaient de partout, avec des affaires ficelées à la hâte, des matelas d’enfants sous le bras. Ils étaient entourés de policiers, comme s’ils étaient des criminels.»
Sarah a 14 ans. «Je n’étais pas comme les préadolescentes d’aujourd’hui. J’étais une petite jeune fille naïve, qui vouait une confiance absolue aux grandes personnes.» Ce moment où elle monte dans le bus, poussée par les policiers, l’instant où elle voit, restés sur le trottoir, ses camarades non juifs, signe pour Sarah «la fin de l’enfance».
«fantômes verts». Les bus arrivent rue Nélaton, dans le XVe arrondissement de Paris. Les passagers sont poussés à l’intérieur du Vél d’Hiv, grand stade couvert voué aux manifestations sportives et concerts. «Il y avait déjà environ 5 000 personnes. Un brouhaha énorme. Une chaleur suffocante.» Constamment, de nouveaux autobus «viennent déverser leurs cargaisons». La journée passe sans eau ni nourriture. Les quelques toilettes sont rapidement bouchées, l’odeur devient insupportable. Les enfants pleurent.
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